RB JEROME BEL
textes et entretiens > 04.2002 the show must go on - tim etchells

1. Vides

Tonight – (West Side Story) – scène et salle sont plongées dans une totale obscurité pendant toute la durée de la chanson. 
Let the Sun Shine In – (Hair) – la lumière, progressivement, envahit la scène déserte. L'illumination n'atteint son apogée qu'à la fin de la chanson.

2. La règle

Jérôme Bel s'est rendu quasiment légendaire par la simplicité de ses structures qui permettent aux événements de survenir durant tout le spectacle à la faveur de la patiente observance d'une règle unique.

La règle, stricte et ostensiblement prévisible, ouvre en réalité à de nouvelles options dramaturgiques au cours desquelles le spectateur, qui s'habitue peu à peu au jeu, au langage et aux limites de celui-ci, peut être sensible à ses moindres variations. L'attention cernée par des paramètres contraignants, le spectateur peut accorder du sens et trouver du plaisir à des événements ou des modifications qui, dans une scénographie moins rigoureuse, auraient semblé trop minimes, trop simples ou trop bêtes pour être seulement identifiés.

Dans The show must go on , toute la structure repose sur un enchaînement de 18 chansons pop, qui constituent la bande sonore. C'est l'ingénieur du son et éclairagiste (Gilles Gentner) qui est aux commandes ; il est assis à une petite table, à l'avant-scène, dos au public. Les moments de silence entre les morceaux semblent n'être régis que par le temps nécessaire à Genter pour se saisir d'un CD et choisir une plage. Ce processus a quelque chose de mal assuré – qui établit pour The show … une sorte de convention – il est l'affirmation qu'il en est ainsi et que les choses prendront le temps qu'il faudra. C'est alors le changement graduel de hauteur des deux piles de CD – qui passent du côté gauche (à écouter) au côté droit (déjà joué) – qui semble tenir le rôle d'une horloge de plateau, brutale et vaguement récalcitrante.

3. Juste

Un ami demande à ses élèves d'écrire des comptes rendus sur les spectacles auxquels ils ont assisté. Ils ne doivent en aucun cas utiliser le mot « juste ».

Plus de : Il a juste bougé sa chaise. Plus de : Ils ont juste parlé bouffe. Plus de : Ils étaient juste là.

Mais : Il a bougé sa chaise. 
Ils ont parlé bouffe.
Ils étaient là.

4. Let’s dance

Pour chacune des chansons jouées dans The show …, Bel a conçu une chorégraphie à la fois ironique et faussement simple qui privilégie une illustration littérale de la chanson aux dépens de toute nuance susceptible de lui conférer la moindre profondeur ou quelque trait inventif.

Au début du spectacle, au son de Tonight et de Let The Sun Shine In, la grande scène vide passe de la pénombre à une lumière éclatante, donnant ainsi à penser que le public attend ardemment le groupe, comme s'il s'agissait d'un concert dans un stade ; les performers n'arrivent d'ailleurs vraiment qu'à la troisième chanson – Come Together des Beatles. Alors qu'on entend pour la première fois la phrase qui donne son titre au morceau, les vingt membres du groupe font exactement ce qui leur est intimé – ils pénètrent par les cotés et se réunissent en un demi-cercle tourné vers le public. Ils rejoignent une place qu'ils conserveront jusqu'à la fin de la chanson, apparemment peu soucieux du fait qu'on puisse attendre d'eux quelque action.

Lors du quatrième morceau – Let's Dance de David Bowie – les acteurs écoutent, toujours immobiles, les couplets de la chanson mais, dès qu'intervient le refrain, ils exécutent à la lettre la directive de la chanson Let's Dance. Chacune et chacun d'eux, veillant à ne pas perdre sa place sur scène, se met à danser avec un enthousiasme absurde. Dès que cesse le refrain, l'ordre disparaît comme si l'on avait actionné un interrupteur, et la danse se fige instantanément.

La chanson dit Come Together , et ils se rassemblent. La chanson dit Dance , et ils dansent. L'interprétation chorégraphique (comme la plus grande part de The Show ...) n'est que simplisme et absence d'interprétation portés au rang de comique redondant. Le choix et l'ordre des morceaux choisis, de même que la chorégraphie semblent être complètement dictés par les paroles des chansons. À de rares exceptions près, les artistes sur scène exécutent ce que dit la chanson. On pourrait dire que la danse ne fait que dupliquer ce qui est déjà là.

5. La dramaturgie des listes

Dans le travail de Bel, une chose n'en implique pas une autre ; les choses ne font que se suivre. En ce sens, on pourrait dire que chaque spectacle est une liste.

Une liste – qu'elle soit composée de chansons, d'idées, de noms, de pays ou de gestes – suppose un ensemble de critères, ou un agencement qui préside à son établissement. Chaque nouvel ajout à la liste (qui, lors d'une performance, se présente comme une partie du processus temporel) infirme ou confirme les projections que le spectateur applique à la liste.

La transformation ou la manipulation de ces projections est l'élément-clé d'une dramaturgie (ou d'un jeu) de listes.

Les morceaux qui composent une liste sont temporairement équivalents. La liste détaille, catalogue mais, surtout emmagasine des données. Les éléments y sont entrés sans jugement de valeur, sans nul commentaire, sans opinion. À la différence d'une autre méthode de composition moderne – le collage –, l'acte de constituer des listes n'implique aucune stratification, mise en marge, superposition, remix ou brouillage des éléments qu'il contient. Les listes, en raison de leur caractère sériel qui suppose une narration mais ne la révèle jamais, n'en laissent pas moins chacun des éléments qui la composent isolé, et affirme que la chose n'est autre que chose. Les listes sont neutres ou « ouvertes », dans la mesure où il revient au spectateur de déceler la nature des divers éléments et de dévoiler leur sens spécifique. Le temps imparti à cette tâche est particulièrement sujet à manipulation car celui qui compose la liste détient le contrôle de la vitesse à laquelle vont apparaître les divers éléments, et, partant, du temps disponible pour leur prise en considération.

Bel laisse tout le temps nécessaire au spectateur en compagnie des chansons : chacune d'entre elles est diffusée intégralement.

6. Chorus line

La troupe de vingt individus, le plus souvent placés selon une disposition en demi-cercle ou en ligne, n'est peut-être elle-même qu'une liste de personnes – présentée à notre inspection sans jugement de valeur, sans nul commentaire, sans opinion.

Roy Faudre (du Wooster Group), que j'ai rencontré pendant le festival LIFT de Londres, m'a dit quelque chose de très juste : « L'acteur en scène est celui qui dit ‹ Voyez ; je suis une personne face à vous. Vous pouvez m'examiner des pieds à la tête. › »

Bel, qui a reçu une formation chorégraphique, a vraisemblablement inventé autre chose, une sorte de sculpture conceptuelle fondée sur le temps. Plus simplement, son théâtre est une sorte de cadre (un jeu) conçu pour que des gens puissent en regarder d'autres. Il est très fort pour construire des éclairages faussement transparents qui se posent sur des visages, des corps et des gestes d'êtres humains. Pendant The show …, je me suis surpris à regarder les gens, à droite, à gauche, puis dans l'autre sens, un peu au hasard. Comment celui-ci regarde sa montre, comment celle-là baisse les yeux. La façon dont l'un fait bien cela, et cet autre un peu moins bien. Tout le monde a l'air beau dans les spectacles de Bel ; je ne m'en suis pas immédiatement rendu compte. Bien sûr, ils sont tous plutôt jeunes, sapés mi-chic, mi-déstructuré comme dans une pub de Gap, mais ce n'est pas seulement cela. Peut-être cette beauté apparaît-elle parce que chacun d'eux est (autorisé à être ? ou présenté ?) sur un mode résolument non-dramatique. Comme les personnages des Screen Tests (1964-1966) de Warhol – assis à ne « rien faire » pendant quatre minutes face à une caméra fixe –, ces performers peuvent bien transpirer, bâiller, sourire hausser les épaules, avoir le regard fixe, cligner des yeux ou se gratter le cul, cela n'a aucune importance. Jonathan Jones écrivait à propos des Screen Tests : « Vous pouvez juger les personnages de Warhol avec douceur ou sévérité, en rire ou les aimer. La plupart du temps, vous les étudiez, et, à mesure que vous les regardez, vous vous calmez. Après tout, vous ne jugez plus, mais prenez conscience de l'endurance qu'il faut pour regarder, et de la tendresse qu'il faut pour se laisser regarder. » (The Guardian, août 2001) De toute façon, les danseurs de Bel sont bien là devant nous, avec leurs qualités et leurs défauts, avec leurs tics, leurs idées et leur enthousiasme stupide, et dans leurs vêtements. De toute façon, ils semblent – comme me le disait un inconnu – « bien dans leur peau », et tout à fait résignés à l'idée d'être regardés.

Dans The show …, tout élément dramatique est exclu de la scène ; tout ce qui ressort du domaine théâtral est confié aux chanteurs et à leurs chansons – donc à des ardeurs, narrations et mélodrames préenregistrés. Alors que le dramatique sur scène peut parfois requérir ou exiger mon attention au coup par coup, la magie de The show …, comme de nombre de pièces de Bel, naît de ce que l'artiste me donne le temps et l'espace pour voir, pour m'ennuyer, pour y trouver un intérêt. L'uniformité de la ligne, la placidité des acteurs qui se mettent au travail, la lenteur des changements dans la pièce et la simplicité des mouvements, tout cela dissimule (ou plutôt, produit) une profusion de détails vivants, stupéfiants.

7. Pop music

Le matériau musical de la pièce est, manifestement, la « pop song ». En choisissant les chansons qui composent The show … , Bel n'invoque pas la Culture ni n'en appelle à son autorité. Il ne cherche pas plus à s'appuyer sur des chansons-cultes pour s'octroyer un quelconque statut par ce biais. Ce qu'il diffuse n'est pas délibérément estampillé « bon goût éclectique ». Il y a de bonnes comme de très mauvaises chansons dans The show …, des chansons hip, ou kitsch ou même de la soupe, mais il ne semble pas que ces diverses caractéristiques soient à l'origine de leur sélection.

Tonight ( West Side Story) - 5.43 
Jim Bryant, Marni Nixon (Leonard Bernstein)

Let the Sun Shine In (Hair) - 6.06 
Galt Mac Dermott

Come Together - 4.10 
The Beatles (John Lenon & Paul Mac Cartney)

Let's Dance - 4.02 
David Bowie (David Bowie)

I Like to Move It - 3.50 
Reel 2 Real (E.Morillo & M.Quashie)

Ballerina Girl - 3.35 
Lionel Richie (Lionel Richie)

Private Dancer - 4.00 
Tina Turner (Mark Knopfler)

Macarena - 3.50 
Los del Rio (Bayside Boys remix)
(A.Romero Monge - R. Ruiz)

Into My Arms - 4.09 
Nick Cave (Nick Cave)

My Heart Will Go On - 4.40 
Céline Dion (J.Horner, W.Jennings)

Yellow Submarine - 2.34 
The Beatles (John Lennon & Paul McCartney)

La Vie en Rose - 3.03 
Edith Piaf (Louiguy - Edith Piaf)

Imagine - 3.00 
John Lennon (John Lennon)

The Sound of Silence - 3.04 
Simon and Garfunkel (Paul Simon)

Every Breath You Take - 4.13 
The Police (The Police & Hugh Padgham)

I Want Your Sex - 4.40 
George Michael (George Michael)

Killing Me Softly with His Song - 4.13 
Roberta Flack (Norman Gimbel & Charles Fox)

The Show Must Go On - 4.44 
Queen (Queen)

Dans l'ensemble, ce sont des chansons bien connues. On les a déjà entendues, soit parce qu'on les a déjà passées chez soi, soit parce qu'on les a subies à la radio ou chez des parents. Ce sont des produits que des strates de significations et d'interprétations accumulées – tant culturelles que (pour la plupart des gens) personnelles – ont d'ors et déjà bien patinés, indépendamment du contexte de ce spectacle.

Au moment même où sont diffusées ces chansons, je déroule toutes les interprétations et tous les souvenirs qui y sont attachés. L'une est une chanson de mon enfance ; l'autre, j'ai cessé de la passer depuis bien longtemps parce que je croyais en avoir pressé jusqu'à la dernière goutte tout jus émotionnel, et en avoir fait rebondir tout ricochet de mémoire. Et je pense à ce que je faisais quand j'écoutais cette chanson là-bas, dans le monde réel, et je pense aux gens avec lesquels j'étais quand j'entendais cette chanson et aux choses qui me passaient sans doute par la tête pendant que je l'écoutais et aux lieux où j'étais quand passait la chanson, à l'artiste qui la chante, à ce qu'est devenu sa carrière, à ce qu'il signifie en tant qu'artiste pour moi aujourd'hui même, et je me demande s'il est maintenant vivant ou mort, et puis je pense aux paroles de la chanson alors qu'elles s'écoulent dans le temps, aux mots auxquels Bel a accordé de l'attention, à ceux qu'il a négligés, et je me pose des questions concernant les réactions des gens qui, comme moi, constituent le public, et je me demande si ces réactions peuvent m'apprendre quelque chose sur eux et cherche à savoir ce qu'ils pensent de la chanson, et je pense à la place qu'occupe cette chanson dans l'histoire de la musique pop, m'interroge sur son éventuelle signification dans une sorte de perspective de recherche culturelle et je songe à l'époque à laquelle je l'ai pour la première fois entendue, à son contenu politique d'alors et à ce que les mots veulent dire, littéralement, ou à ce qu'ils signifieraient aujourd'hui, si cette chanson pouvait être écoutée comme si c'était pour la première fois, et je songe à ces grandes vacances, quand j'étais môme et que cette chanson, exactement cette chanson, passait sur le magnétophone tellement, mais tellement souvent, que j'ai fini par en connaître chaque mot par cœur.

Ou, pour faire plus court : Bel tire parti du temps qui a déjà été investi dans les chansons qu'il propose.

8. La danse, la banalité

Quand la danse comme telle apparaît dans The show … , c'est surtout sous forme de paraphrase ou de citation à travers lesquelles un certain type de mouvement-associé-à-la-musique, partie de la culture populaire, est confisqué comme un objet et rançonné par chaque acteur/danseur qui la transforme en un vocabulaire physique.

Dans la première partie de The show …, la danse-citation saute de l'immersion volontaire dans le disco ( Let's Dance ) à une exubérance inventive ( I Like To Move It ), puis à une tentative classique mais brouillonne de danse Wannabe ( Ballerina Girl) et au solipsisme de garçons qui dansent dans leur chambre ( Private Dancer ) pour aboutir au rituel collectif de danse en ligne de la Macarena . Ce dernier morceau constitue une rupture dans les règles du spectacle qui émergent lentement, car il n'y a qu'une seule des trois parties du morceau dont la chorégraphie n'est pas directement l'illustration des paroles de la chanson. La troupe entière exécute simplement la danse qui correspond à la chanson – les danseurs font ce qui s'impose, sans invention ni commentaire. Un peu plus tard, le My Heart Will Go on de Céline Dion connaît le même sort (celui d'illustration littérale par association), avec la transposition sur scène d'une image du film Titanic qui – par sa célèbre corrélation à la chanson - est aussi évident, redondant et redoublant qu'une mise en scène de paroles d'une chanson peut l'être.

À l'intérieur comme à l'extérieur de ces citations dansées, l'esthétique de la pièce est celle du quotidien, avec son lot de richesses et de banalités. Les artistes se tiennent devant nous en toute simplicité, en toute intimité, et leur incapacité à se défendre ou leur nudité participent certainement à leur beauté. Ici, la présence n'est pas affaire de rhétorique ou de virtuosité. Et même, pendant I Like To Move It , quand l'un des performers fait quelque chose d'impressionnant avec son pénis, on ne peut guère soutenir qu'il s'agisse de virtuosité quotidienne – plutôt d'un truc ou prodige naturel qui a davantage sa place à la maison, dans le coin d'une cour de récré ou dans des vestiaires que dans le programme d'un corps de ballet*.

Mis en scène pour composer un tableau occupant la totalité de l'espace, les performers (éléments de liste) n'en sont pas moins rarement liés les uns aux autres en un mouvement d'ensemble – ils sont, en quelque sorte, seuls. Au repos, ils s'observent vaguement, comme le font les participants à une classe d'aérobic – ils se jettent des coups d'œil rapides, prudents, généreux ou curieux, mais, dès qu'ils se mettent en mouvement, chacun d'entre eux pénètre dans une bulle dont la logique interne reste individuelle, impénétrable. Quelques performers sont « bons » dans ce qu'ils font, d'autres « pas si bons ». Bel semble prendre goût à cette diversité et espérer que, nous aussi, nous nous amuserons des (de cette liste des) diverses façons de faire une chose.

The show … construit un monde de travail simple dans lequel les gestes à accomplir sont des gestes de chorégraphie, et cette tâche doit être exécutée en public. Bel ne demande pas aux performers de créer un drame ou une crise fictive en s'écartant ou en élaborant à partir de la règle déjà fixée… Les écarts ou les modifications (l'introduction d'idées nouvelles ou «inhabituelles») naissent dans le calme, à l'intérieur même des systèmes, ou par voie de conséquence, jamais à leur encontre ni malgré eux. Pour leur part, les artistes semblent se satisfaire de s'en tenir à la règle de base qui est que l'on fasse « ce que dit la chanson ». Leurs passions, leurs enthousiasmes ou leurs idées ou autres ne durent que le temps d'une chanson, ou que le temps de la seule phrase concernée. Il n'y a nulle insistance, nulle dramaturgie inutile. Le caractère, la présence, « le personnage » – toutes ces choses ne naissent que par l'obéissance à la règle. Elles fonctionnent à l'intérieur de la règle, et existent dans la règle.

On pourrait aussi dire: ils en font assez. Ni plus, ni moins. Ils font ce que dit la chanson. La chanson dit Come together et ils se rassemblent effectivement. La chanson dit I like to move it et ils bougent It, quoique recouvre ce It – une langue, un sac à dos ou une fermeture éclair. Ils font ce que dit la chanson. La chanson raconte ce qu'ils font. C'est pas plus compliqué que ça. Et ça n'a pas besoin de l'être. La chose est la chose.

9. Romances

À partir du matériau de Come Together à My Heart Will Go On , Bel met en scène la vague trame d'un essai sur les relations humaines qui s'amorce par la situation arriviste* de prise en considération de la présence de l'autre ( Come Together ). Cet argument se développe par l'exubérance du groupe ( Let's Dance , I like To Move It et la Macarena ) pour être brutalement interrompu par des séparations cocasses au cours desquelles les femmes ( Ballerina Girl ), ou bien le technicien du son et éclairagiste, dansent « tragiquement » seuls ( Private Dancer ). En dernier lieu, c'est grâce au matériau le plus évidemment narratif du Into My Arms de Nick Cave et du My Heart Will Go On de Céline Dion que l'on atteint l'apogée. Cette dérive romantique un peu floue est à la fois liée au (naît du) contenu de la chanson pop et à son rôle dans le monde et aux (provient des) jeux de compositions formels de Bel : remplir la scène puis la vider, former des lignes ou d'autres groupes puis les disloquer. Into My Arms se transforme en un jeu d'errances au cours duquel le refrain – Guide you into my arms – engage chaque danseur à prendre dans ses bras le premier (ou la première) à sa portée le temps que survienne le couplet qui, à nouveau, désunit les duettistes. Par la suite, My Heart Will Go On fournit le prétexte à la reproduction au ralenti en dix exemplaires maladroits de la scène iconique à la proue du Titanic du film ridicule de James Cameron.

La foncière neutralité de la chorégraphie de Bel – son absence de prise de position – laisse à chaque spectateur la possibilité d'être à la fois distant et étrangement proche de ces instantanés fragmentaires de l'humaine idylle. L'échange systématique et routinier de partenaire lors de Into My Arms peut être perçu comme une interprétation littérale comique de la chanson, en même temps que comme une froide description du monde – c'est là une question de point de vue personnel. L'absence de passion dans cette action peut être prise pour un gag de cartoon ou pour l'écran idéal sur lequel projeter ses propres émotions. La ré-interprétation de la scène de Titanic (où les couples de danseurs tournent sur eux-mêmes pour refléter le fameux tournoiement de la caméra) est une critique du film et de sa bande originale (leur mélo grandiloquent, leurs excès rhétoriques, leur omniprésence) qui, en même temps, leur emprunte pouvoir et émotion et qui aussi, entre les lignes, insiste sur la possibilité d'une vie réelle vécue et aimée à l'ombre de tels icônes, de tels spectres volubiles.

10. Etiquetage

Une amie m'a raconté qu'on lui avait donné pour cadeau, lorsqu'elle était enfant, à l'occasion de son anniversaire, une série de petites culottes, au nombre de sept, chacune marquée du nom du jour de la semaine, écrit en allemand. Elle me disait avoir porté ses petites culottes l'une après l'autre, avoir scrupuleusement mis celle du lundi le lundi, celle du mardi le mardi, et ainsi de suite, en parfaite conformité avec la règle de l'inscription ; s'il lui arrivait de s'être trompée, et, par exemple, de porter un dimanche celle du jeudi, elle vivait toute la journée avec un sentiment de malaise, de préoccupation. Comme si, à chaque instant de cette journée fallacieusement étiquetée, elle était prise entre la vérité et un mensonge ou une fiction. Comme si elle n'était pas vraiment elle-même.

11. Autres vides

Après My Heart Will Go On , quand c'en est fini des « danses » et de leur dérive romantique, les performers s'éloignent de la scène et Bel renvoie l'économie de The show … à son extrême minimalisme établi lors des deux morceaux du prologue, Tonightet Let The Sun Shine In . Durant douze minutes et demie, ce minimalisme sera le principal vocabulaire. Le spectateur – régulièrement « abandonné » par le spectacle sur scène (il n'y a plus de danseurs, et parfois même ni lumière ni musique) – n'a guère d'autre choix que de se regarder

lui-même ou de jeter un œil sur ses voisins, de penser en silence ou de tenter de trouver quelque distraction. Ces déserts de signification (de Yellow Submarine à La vie en rose et de Imagine au The Sound of Silence ) deviennent, dans la déclinaison architecturale du spectacle, une croissante série de défis, puis, en dernière analyse, de dons, surtout destinés au spectateur, à son rôle et aux attentes qui sont les siennes.

Pour Yellow Submarine , les danseurs quittent la scène par une trappe, ne laissant qu'un rai de lumière jaune émerger d'en bas alors qu'ils accompagnent de leurs voix la chanson. C 'est la première fois que nous entendons chanter la troupe de The show…, mais ce ne sera pas la dernière ; c'est même l'introduction d'un nouvel élément dans le vocabulaire du spectacle.

Pour le prochain morceau, La Vie en rose, salle et scène baignent dans une même nuance lumineuse appropriée alors qu'à nouveau rien, mais absolument rien, ne se produit sur scène. Pendant que passe la chanson, les gens se regardent. Ceux qui sont devant se tordent le cou pour voir ceux qui sont derrière, lesquels se penchent en avant pour tenter de voir les rangs d'en bas. Il y a des vagues, des haussements d'épaules, des sourires embarrassés. Quelqu'un crie quelque chose à un ami qui se trouve au balcon, lequel lui répond sur le même ton de voix. La chanson poursuit son cours, en un étrange mélange de cocasserie, d'ennui et de fascination que Bel paraît parfaitement générer, et qui laisse à tout un chacun tout le temps de se demander, en fin de compte, ce qu'il fait vraiment là.

Pendant la durée du morceau suivant Imagine de John Lennon, on se trouve dans une obscurité totale – il n'y a rien à voir, ni sur scène, ni dans la salle. La rudesse de cette réaction « chorégraphique » à la chanson – qui prend au mot ses paroles en effaçant le monde comme Lennon nous met au défi d'imaginer l'absence de celui-ci – fait s'esclaffer le public à mesure qu'il en comprend l'ironie. Mais, à partir de là, c'est à nous de voir. Comme nous sommes même privés du soutient minimal qui accompagnait La Vie en rose (la vue de le scène vide et des autres spectateurs), nous voilà seuls avec nous-mêmes pour négocier les minutes qui s'écoulent pendant que Imagine continue, que ses paroles et sa mélodie tissent un fil directeur à travers l'obscurité. Je songe, on ne peut y couper, à la vision utopique de la chanson et à la mort de Lennon (illustre pour avoir inauguré l'ère des agressions de stars et d'assassinats de célébrités). Autour de moi, nombre de spectateurs ont tiré des briquets de leurs poches pour les agiter doucement, comme ils ont appris à le faire en regardant des retransmissions de concerts rock. J'écoute les paroles de la chanson, parfaitement conscient de les « connaître par cœur », mais de les avoir rarement écoutées, tentant d'accomplir l'impossible expérience de pensée qu'elles proposent, tentant de réaliser ce que ces mots peuvent vouloir dire. Quelque part, dans les premiers rangs, une voix s'essaie à chanter en même temps. Elle est bientôt imitée, enfin un chœur se forme dans l'obscurité, enfle, puis dépérit en désordre. Les briquets s'éteignent, et nous revoilà dans le noir jusqu'à la fin de la chanson.

Ces interventions – comme bien d'autres durant The show … semblent complaisantes (tous ces hurlements tellement inventifs, si spontanés, ces applaudissements cadencés, ces ébauches de danse dans le public, ou bien ces sorties, ces chahuts crétins et ces futiles reprises en chœur), tout cela ne vient pas à bout de la persistance têtue de The show …, de son obstination à affirmer que la chose n'est que la chose. Le CD de Lennon passe. Je m'évade pour ressasser des pensées et des demi-pensées. En fin de compte, il me revient un moment, il y a des années, où j'entendais, à deux heures du matin, Imagine joué et chanté, massacré en fait, par un catcheur semi-professionnel, saoul, d'à peu près 25 ans, véritable léviathan vautré sur un piano quart de queue dans un Holiday Inn à Columbus, Ohio, pendant une tempête de neige au printemps ; l'hôtel exsudait la violence, des gardes armés vérifiaient les cartes d'identité au seuil des ascenseurs, et les catcheurs complètement ivres (réunis pour un grand combat en ville) entouraient tendrement le chanteur, bière à la main et larmes plein les yeux.

Ces fragments, comme d'ailleurs l'essentiel de The show … , renvoient résolument le spectateur à ses propres ressources, en brisant la collectivité anonyme de la salle et en la remplaçant par une isolation forcée ou bien par une nouvelle société, incertaine, dans laquelle les participants au public doivent mettre à l'épreuve les bornes du jeu qu'ils sont censés jouer. Celles-ci se situent entre introspection, intervention minimale, ratissage de la mémoire ou bien bribes de souvenir, désir ou même geste pour s'en aller, attention qui s'extrait des détails du présent et divague vers une pensée abstraite, moments d'ennui, d'anticipation ou seulement d'attente.

Plus que jamais, Bel entraîne dans un double jeu le spectateur qui, face à du de moins en moins – du néant, des vacuités, des répétitions, des platitudes, des redondances, de la banalité, des évidences et du quotidien - se met à percevoir de plus en plus. Bresson dit que plus une image est plate, plus elle est expressive quand on la place auprès d'une autre. Parfois, Bel nous fournit l'équivalent théâtral d'un tableau qui aurait la couleur du temps. Un tic-tac. Une scène dans la pénombre. Une surface. Gavé de littéralité, je commence à m'interroger sur sa profondeur.

Ou, pour dire les choses plus simplement, et comme Jérôme disait à un de mes copains dans un bar de Munich : « Parfois, je me dis que les gens deviennent de plus en plus intelligents à nous regarder devenir de plus en plus bêtes. »

Avec Imagine , on pourrait croire que The show … a atteint une sorte de nadir, mais Bel a encore un tour dans son sac pour nous dérober encore les choses. Car The Sound of Silence – qui commence par l'interpellation Hello darkness my old friend … ne manque pas de déclencher des rires dans cette obscurité persistante – le technicien du son et éclairagiste laisse le morceau se poursuivre jusqu'à la première occurrence des mots The sound of silence , puis coupe le son en nous laissant dans le noir et ce silence même dont parlait justement la chanson. Même pour un public accoutumé aux « méthodes » de Bel, la situation qui consiste à n'avoir rien à voir ni à entendre constitue un défi, aussi les conversations et les sifflets commencent-ils à fuser dans la salle. On devine alors que le technicien du son garde un œil attentif sur le déroulement du CD car, après un moment de vacance sonore, la chanson de nouveau se fait entendre, juste le temps que l'on puisse saisir les mots The sound of silence , qui sont immédiatement suivis d'une nouvelle interruption audio. Cette modification rythmique se poursuit pendant toute la durée du morceau – trois minutes – et seule la bribe sonore The sound of silence revient régulièrement comme pour étiqueter le vide qui précède et celui qui va suivre.

12. Miroirs

Dans un passage de Storming Heaven : L.S.D. and the American Dream , Jay Stevens raconte qu'aux plus beaux jours du Summer of Love, le quartier de Haight Ashbury, à San Francisco, était souvent inondé de cars de touristes curieux de voir la faune aux cheveux longs. Agacés par leur nouveau rôle d'humaines bêtes de foire, les hippies du Haight se sont mis à trimballer de petits miroirs à l'aide desquels ils pouvaient renvoyer à leurs visiteurs inopportuns, fraîchement descendus de leurs cars à l'air conditionné, leurs regards ébahis.

13. Watching you

The show must go on se consacre en fin de compte à la fois à l'idée (au jeu) de la danse en public et aux attentes, aux besoins, aux désirs, à la présence et à la nature du public qui est venu assister au spectacle. La générosité de Bel et des performers, qui s'offrent sans défense à notre examen, trouve sa contrepartie dans les dernières scènes au cours desquelles la direction de ce regard s'inverse ou, pour le moins, devient réciproque. La trajectoire du spectacle qui va de la présentation de danses, de mouvements et de gestes comme autant de citations, en passant par un intermède minimaliste et l'obscurité pour parvenir à une relation directe au public, constitue sa principale architecture, architecture qui entraîne lentement mais sûrement les spectateurs vers une rencontre – non seulement avec la scène et ce qu'il s'attendent à y voir – mais aussi avec eux-mêmes.

Lors d' Every Breath You Take et de I Want Your Sex , les performers retournent sous les projecteurs, forment une ligne se déployant sur toute la largeur de la scène puis dirigent leurs regards vers un public qui est également éclairé par les lumières de la salle. La ligne, plus frontale et plus manifestement « directe » que le demi-cercle des premières scènes annonce un changement dynamique. Le regard jeté de la scène vers les rangs de spectateurs montre que l'observation des corps étrangers, qui dans le théâtre et la danse jouit d'une permission esthétique, ressortit ici à l'économie du désir humain. La réciprocité du regard dans ces instants est un puissant transfert (et partage) du pouvoir qui voit les danseurs affirmer qu'eux aussi peuvent diriger leurs regards à leur gré, qu'eux aussi connaissent des fascinations, des moments d'ennui, d'inattention et que notre observation doit se savoir (dès maintenant et pour toujours) elle-même objet d'observation.

Every breath you take, every move you make 
Every bond you break, every step you take
I'll be watching you
(Chacun de tes soupirs,de tes gestes
Chacun de tes écarts,de tes pas,
Je les surveillerai)

Ce regard renvoyé affirme que la salle, comme la scène, est un écran vierge pour une projection, que nos corps et nos visages (comme les leurs) sont aussi des écrans dotés d'une bande-son signifiant des espaces, des pistes pour les fantasmes, les rêves et les récits d'autres gens.

14. Anecdote

Dans un bar à Vienne, Jérôme Bel me dit qu'avec le spectacle The show must go on, il voulait créer une œuvre qui ne soit pas plus forte que le public . Une pièce qui les accompagnerait mais qui ne les dominerait pas. C'est un beau geste, mais le fait d'accepter un cadeau de ce genre peut s'avérer difficile pour les personnes ayant grandi à une autre époque, dans d'autres modes de relation entre l'artiste et son public.

Lors des représentations deThe show must go on à Paris au Théâtre de la Ville, on assiste à des invasions de scène, des interventions, des applaudissements mous. Je dit qu'il a compris le message : si vous ne dominez pas le public, il essayera de vous tuer .

15. Fort Da

Le fait de manipuler une règle nécessite de connaître ses limites possibles, et une structure qui permette de les rassembler, de les juxtaposer. Par conséquent, la rencontre directe avec le public avec les titres Every Breath You Take et I Want Your Sex est compromise par les actes de confidentialité publique les plus engagés de The show. Dans la section qui suit, I Want Your Sex , les interprètes mettent leur baladeur CD personnel et, lorsqu'ils entendent la réplique de l'ingénieur du son, commencent à écouter chacun leur chanson, en secouant la tête aux différents rythmes de la musique que nous n'entendons pas. Aujourd'hui formé aux approches exigeantes de Bel concernant les règles, le public peut bien être pardonné pour avoir anticipé un silence de trois minutes et demi, les interprètes étant occupés devant lui. Cependant, ce silence est rompu à plusieurs reprises par une routine maladroite lors de laquelle les interprètes chantent tour à tour le refrain de leur chanson, apparemment en rythme avec le titre qu'ils entendent dans leur casque. En tant que prolongation de la technique utilisée dans The Sound Of Silence, la scène du walkman de The Show … continue à disséquer les chansons pop au cœur du spectacle, en conservant uniquement leurs fragments lyriques clés commençant par le pronom : « Je… » (« I am a woman in love » (je suis une femme amoureuse), « I can't get no satisfaction » (je n'arrive pas à être satisfait), « I'm too sexy..: » (Je suis trop sexy)) et, pour le petit groupe d'interprètes partageant le même walkman à l'arrière de la scène, « We are the world » (Nous sommes le monde). Les chansons en tant que marques d'identité absurdes et inadéquates, et la cacophonie comique qu'elles engendrent lorsqu'elles sont superposées, représentent, peut-être, le point le plus polémique de The Show … . Mais même si l'effet est, à l'évidence, efficacement comique, l'image qui subsiste, et qui sera développée avec le titre suivant, est celle d'interprètes perdus dans leur concentration, les yeux fermés ou rivés au sol, prisonniers d'une relation exagérément privée avec quelque chose qui reste à tout jamais inaccessible. Le côté public si frappant dans Every Breath You Take et I Want Your Sex a disparu, s'est dissipé. Comme les docteurs aiment le dire dans les films à suspens, les drames et les séries hospitalières : nous les « perdons ».

L'avant-dernière chanson est Killing Me Softly with His Song , et la notion de perte sera à nouveau jouée et mise en scène. Pendant ce titre, chacun des interprètes, réunis à proximité de la table de l'ingénieur du son, reste intérieurement concentré, les yeux rivés au sol, le corps inexpressif, articulant les paroles de la chanson. Ce play-back est, à l'évidence, un simple doublage de ce qui est déjà présent, une action au travers de laquelle les interprètes, comme tant d'autres dans leur cuisine, leur salle de bain et leur voiture s'imprègnent de l'aura d'une chanson. Au fur et à mesure qu'il chante (pas ses propres mots et, en l'occurrence, de manière inaudible), chaque interprète commence à disparaître, en s'écroulant physiquement sur le sol, en s'effondrant lentement, tout en continuant à chanter les yeux fermés, jusqu'à ce qu'ils soient tous allongés sur la scène et forment un amas de corps immobiles. Ils ont à nouveau disparu. Longtemps avant que la chanson soit terminée, le play-back s'est arrêté. Les paroles de la chanson, qui les tuent lentement, sont une fois de plus représentées littéralement dans la chorégraphie de Bel, interprétées par une chanteuse dont la description en chanson de la souffrance de l'auditeur est tellement précise, tellement réelle, qu'elle devient une sorte de deuxième mort, de mort vivante, un miroir qui assassine.

I felt he found my letters 
And read each one out loud

(J'ai su qu'il avait trouvé mes lettres 
Et j'ai lu chacune d'entre elles à voix haute)

Etre si bien connu. Etre à ce point contenu dans le discours d'un autre. Aller quelque part (dans le bar ou la boîte de nuit de la chanson, ou peut-être le cinéma) et s'y retrouver déjà, déjà écrit, déjà prescrit, déjà anticipé et à ce point identifié dans l'économie (jeu) de signification et la vie même – cela est une tyrannie insupportable et, en même temps, peut-être, une sensation de gloire merveilleuse.

Ceux qui interprétaient en silence la chanson encombrent maintenant la scène sous forme de corps, lentement tués par la chanson. Ils ont disparus.

Fort-Da . Il s'agit essentiellement du jeu deThe show must go on. Un jeu consistant à les amener sur scène et à les enlever, à remplir et à vider la scène. Un jeu entre la musique et le silence, entre l'image et le vide. Un jeu entre le mouvement et l'immobilité, la lumière et l'obscurité. Un jeu entre la scène et la salle. Un jeu entre les hommes et les femmes, tous ensembles, par paires, puis seuls. Un jeu entre quelques et plusieurs personnes. Un jeu entre des regards fixes et des regards avertis.Fort da .

Pendant que les « corps » restent allongés, immobiles et silencieux sur la scène, la dernière chanson,The show must go on , commence. Freddie Mercury chante au son des cordes grandiloquentes :

Empty spaces - what are we living for? 
Abandoned places - I guess we know the score
On and on, does anybody know what we are looking for...
Another hero? another mindless crime?
Behind the curtain, in the pantomime
Hold the line, does anybody want to take it anymore?

(Des espaces vides – pour quoi vivons-nous ? 
Des espaces abandonnés – Je crois que nous savons ce qu'il en retourne
Encore et encore, qui connaît le sens de notre vie...
Un autre héros ? un autre crime stupide ?
Derrière le rideau, dans le pantomime
Tenez le coup, qui veut continuer à accepter tout cela ?

L'image fixe des corps demeure. Comme la pantomime, les héros et les crimes stupides cités dans les paroles ont en effet été rejetés, non désirés. Puis retentit le refrain titre, appuyé, insistant :

The show must go on, 
The show must go on.

(Que le spectacle continue, 
Que le spectacle continue.)

Les paroles adoptent le statut d'une instruction littérale. Les corps se relèvent, les interprètes saluent le public et quittent la scène. Fort da. Ils reviennent, saluent le public et quittent à nouveau la scène. Fort da. Ils reviennent, saluent le public et quittent à nouveau la scène. Le public commence à applaudir. La chanson continue. Les interprètes reviennent, saluent le public et quittent à nouveau la scène. Fort da. Le public continue à applaudir, certains spectateurs debout.

The show must go on, 
The show must go on.

(Que le spectacle continue,
Que le spectacle continue.)

La fin du spectacle est brouillée par les « applaudissements », comme si dans cette dernière scène, le rôle du public était absolument clair et souhaité, anticipé, et même prescrit. La chanson continue.

The show must go on, 
The show must go on.

(Que le spectacle continue, 
Que le spectacle continue.)

Les interprètes reviennent, saluent le public et quittent à nouveau la scène.

The show must go on, 
The show must go on.

(Que le spectacle continue, 

Que le spectacle continue.)

Comme dans la pièce – il faut surmonter les morts qui ponctuent la chanson précédente (comme celles qui se produisent à la fin d'une tragédie Shakespearienne) ; le vivant doit continuer.

The show must go on, 
The show must go on.

(Que le spectacle continue, 
Que le spectacle continue.)

Comme dans la pièce – la circulation sans fin de signes tels que la salle (ou la musique ou la culture), les processus sans fin de la vie, la fabrication, la lecture, la re-fabrication et l'appropriation doit continuer, ou plutôt, continuera, inexorablement, comme une machine, précise, terrible et magnifique.