RB JEROME BEL
spectacles > the show must go on > presse > 10.2000 - süddeutsche zeitung

C’est par une mystification obstinée que commence « The show must go on ! », le spectacle édition spéciale minuit. Tout faux, à ce qu’il semble. Le show commence d’abord par ne pas commencer du tout. On éteint la salle. On pense aussitôt que le rideau va s’ouvrir et qu’on pourra savoir comment le chorégraphe Jérôme Bel dirige sur scène les anciens et les nouveaux de la troupe du Schauspielhaus en leur offrant l’opportunité de montrer les traits plutôt divertissants de leur caractère naturel. Un dernier tour de danse comme thérapie après les tâches pleines de problèmes. Mais rien de tout cela. La scène reste plongée dans l’obscurité. Devant, près le rampe, dos au public, le regard dirigé sur le rideau toujours baissé, un disc-jockey est assis et fait entendre la chanson « Tonight » tirée de Westside Story. Un peu complaisant, pense-t-on, mais tout à fait sympathique comme mise en condition à ce qui ne va tarder à démarrer de façon complètement folle. Mais le rideau ne se lève toujours pas et fait de la chanson « Let the sunshine in » de la comédie musicale Hair une sombre farce. Premières agitations dans le public.

Lorsqu’il y a enfin quelque chose à voir, on n’aperçoit d’abord que vide et immobilité. Sur « Get together » des Beatles, qu’on peut parfaitement considérer comme la devise musicale de la nouvelle et désormais nécessaire rencontre, les 22 interprètes féminins et masculins du spectacle se tiennent là sans bouger, en fixant avec mépris, et même arrogance, les gens dans la salle. Mot d’ordre : aujourd’hui, c’est nous qui vous regardons. A un moment donné, le corps de ballet finit par s’animer. Dans une succession qu’on oublie facilement, des exercices vous sont présentés. Sur la musique de « Let’s dance » de David Bowie, on n’envie en tout cas pas le groupe de danse — plutôt pauvrement attifé. Désormais, l’heure a sonné où les tubes sont pris au pied de la lettre. La troupe disparaît dans la grande fosse d’où jaillit aussitôt une lumière jaune. Musique : « Yellow Submarine » des Beatles. Tout à coup, la salle entière est éclairée d’une lumière kitsch rose pétant. Sur quoi : « La vie en rose », et rien d’autre. L’agitation et l’agacement se font entendre plus vertement. Quelqu’un lance : « Stromberg, il est où en fait ? »

La chose est claire : il faut contrarier les attentes, décevoir les tendances au voyeurisme. Mais là où on ne cesse de montrer clairement combien l’arrogance du public est plus belle que sa bienveillance, cette fuite en avant donne l’impression d’être une tentative pour transcender le dilettantisme. Et même les meilleurs gags tombent rapidement à plat, en divisant le public en trois camps. Les uns sont indignés. Les autres jubilent malgré tout. Et pour finir, il y en avait quelques uns — encore jeunes ou s’efforçant de le rester — qui parlaient déjà de culte.

Werner Burkhardt 04.10.2000