RB JEROME BEL
spectacles > xavier le roy > presse > 02.2001 - frankfurter rundschau
Sans doute faut-il commencer par Jérôme Bel, qui a toujours aimé poser des questions relatives à l’identité et à la notion d’auteur. En attestent les titres de ses pièces, comme Nom donné par l’auteur ou Jérôme Bel. Il y a peu, Bel s’est engagé en son nom pour un spectacle dont il a laissé, il est vrai, la conception et la réalisation à un de ses collègues : Xavier Le Roy. Le résultat, qu’on peut voir actuellement au centre culturel de la Mousonturm de Francfort s’intitule Xavier Le Roy — bien que ce dernier ait tout de même eu la charge d’élaborer la pièce selon les goûts de son collègue, donc de lui donner l’air d’une pièce de Jérôme Bel.

Jusqu’ici, la chose est plutôt déconcertante. Le Roy a donc chipé les idées qui hantent en permanence les pièces de son collègue et esquissé un dispositif expérimental dont l’exécution rigoureuse n’est cependant pas tout à fait « à la Bel » : les réflexions de ce dernier se présentent moins schématiquement, elles sont emballées de façon plus ludique.

Mais si l’on se mettait à décrire Xavier Le Roy, on aurait un peu l’impression d’être le critique de romans policiers qui trahit l’assassin (d’ailleurs, la musique du début de la pièce rappelle le polar). Car le plaisir de la pièce réside tout de même pour une grande part dans le fait qu’on soupçonne une astuce sans en percer toutefois le genre ni l’envergure. Un être humain coiffé d’une opulente perruque blond platine, la tête toujours baissée de sorte qu’on ne puisse pas reconnaître son visage, fait de courtes apparitions en sortant de derrière un paravent noir. Des vêtements suffisamment amples veillent à ce que le spectateur ne puisse être certain si c’est un homme ou une femme qui prend la pose ou exécute de courtes séquences de mouvements appartenant à la mémoire culturelle collective : le trottinement de Charlie Chaplin, la « marche lunaire » de Michael Jackson, la fameuse pose de Marlene Dietrich dans L’Ange bleu, jambe droite repliée et buste rejeté en arrière, Jésus-Christ en croix. A cela viennent s’ajouter des gestes quotidiens : marcher, s’asseoir sur le sol, se coucher.

Ici, les mouvements sont exposés au théâtre comme des readymades dans un musée : l’objet trouvé reçoit une nouvelle signification d’être présenté dans un nouveau contexte.

Pour finir, la personne mesure la distance qui sépare le paravent d’une chaise, en mettant soigneusement un pied derrière l’autre. Quand elle reviendra effectuer une deuxième fois la mesure, il manquera un demi-pied. Aucun doute, voilà bien un indice de poids pour le commissaire spectateur.

On ne le laissera plus bien longtemps dans l’incertitude : pendant quelques secondes apparaissent deux interprètes qui semblent être la réplique exacte l’un de l’autre. Les séquences de mouvements sont alors répétées depuis le début. Reste uniquement à savoir lequel des deux est Charlie et lequel Marlene. Une troisième partie, avec une troisième répétition, finit par livrer également la clé de l’énigme, car cette fois-ci, les deux interprètes sont nus. Sans doute ont-ils récupéré ainsi leur différence sexuelle, mais la distribution des rôles ne se scinde pas en deux pour autant : il est Marlene et elle est Jésus.

Le dispositif expérimental belien de Xavier Le Roy dure trois petits quarts d’heure. Il n’est pas sans attrait, mais possède cependant une beauté pesamment académique dans son traitement laborieux d’interrogations auxquelles Bel lui-même s’est déjà intéressé avec plus d’esprit : dans Le dernier spectacle, par exemple, lorsqu’il apparaît en costume d’Hamlet, affirme qu’il n’est pas Hamlet et, pour le démontrer, se déshabille jusqu’à son slip — sur lequel on peut lire le nom de Calvin Klein.

Jérôme Bel est donc le meilleur Jérôme Bel. Reste encore à savoir, désormais, s’il peut aussi être le meilleur Xavier Le Roy.