RB JEROME BEL
spectacles > jérôme bel > presse > 04.1998 - ballet international – tanz aktuell
(…) Les interprètes de la chorégraphie Jérôme Bel de Jérôme Bel présentent tous ensembles les quatre principes de base de la danse : la lumière, la musique et le corps évoluant dans un espace, qui s'illuminent et s'examinent pendant les cinquante minutes suivantes du spectacle. Sur la scène, les corps sont ce qu'ils sont, et nous apprenons exactement à les connaître par l'intermédiaire de chiffres et de noms attribués par Jérôme Bel. (…)

Bien que Jérôme Bel fasse constamment référence à l'auteur et à la paternité de son œuvre, ses créations ne contiennent aucune trace d'expression personnelle. Ce parisien de 33 a ns n'est pas vraiment convaincu par la notion bourgeoise qui considère l'artiste en tant que génie original ayant une mission, et dont les œuvres crées ex-nihilo lui insufflent une âme afin d'exprimer quelque chose. Au lieu de cela, il se réclame plus de Michel Foucault et Roland Barthes, pour qui le terme d'« auteur » est une catégorie juridique pour la protection des droits de propriété. L'auteur, tout comme le nom « Jérôme Bel », est uniquement un message codé parmi tant d'autres messages codés qui apparaissent dans ses créations. (…)

« Ce que j'ai essayé de faire avec Jérôme Bel », explique-t-il, « était de trouver une sorte de « point zéro de la littérature » pour la danse. Je voulais éviter deux choses : le corps érotique et le corps musclé parfait, tel que celui d'un guerrier. Le sexe et le pouvoir : dans toute notre culture (pas seulement dans la danse), ce sont les deux représentations dominantes du corps, l'instrument principal de la danse, qui le privent de ses signes habituels. » A une époque où la danse semble exploser en tant que phénomène social (qu'il s'agisse de l'engouement récent pour la danse à deux, des raves de la scène techno ou du breakdance dans les banlieues, elle doit en partie sa popularité à MTV) et si l'on considère le fait que le corps court le risque de disparaître derrière des montages artistiques et des effets de caméra, Jérôme Bel se concentre sur les plus petits messages codés et presque invisibles du corps qui en font une structure artistique.

Dans la production Jérôme Bel , les mouvements restants sont des mouvements fonctionnels de tous les jours, les interprètes ne jouent aucun rôle, les corps des danseurs ne sont au sens classique ni « beaux » ni forcément bien entraînés. L'extension de ses limites structurelles, qui a lieu depuis les années 60 dans le monde de la danse avec les postmodernistes américains et la sphère du groupe Judson Church, reste déterminée par une définition minimaliste de la danse en tant que mouvement dans le temps et l'espace, une définition apparaissant clairement dans le spectacle « Roof Piece » de Trisha Brown. La plus grande extension possible de l'espace qui séparait les danseurs consistait à les positionner sur les toits de différentes maisons.

Cependant, avec Jérôme Bel, l'espace se contracte au point d'être invisible. Sa « signature », que Roland Barthes, contrairement à l'universalité de la langue et la confidentialité des styles considère comme étant le troisième élément structurel d'un texte, se situe entre les mutilations verbales de Samuel Becket et l'explosion linguistique recherchée par William Forsythe. Bel est fasciné par une connexion entre le corps et la langue qui relie à nouveau les images du corps aux pratiques sociales.

« Pour moi, la danse en tant que danse sur scène n'est plus l'expression magnifique et non analysée de sentiments « naturels » par le corps, un corps qui existe, et dont nous ne sommes pas certains. Non. Pas du tout. Même le corps d'un point de vue biologique requiert une énorme quantité de travail structurel et spirituel. Tout ce que nous savons sur le corps, tout ce que nous comprenons, est fondé sur des codes et un langage. » Non seulement l'identité d'une personne devient une construction sociale et culturelle, mais même le corps, généralement réduit à sa fonction de porteur d'informations humaines, devient une structure discursive. Qu'est-ce que le corps, si ce n'est de l'eau, de la graisse et une masse ? Jérôme Bel aime cette question. Ses corps attirent l'attention sur les dimensions d'interprétation du corps avant de bouger, au sens conventionnel, en tant qu'interprètes dans le temps et l'espace.

Tout comme John Jasperse dans Excessories , (…) Jérôme Bel met de côté la notion de libération du plus profond de la nature humaine, qui, supprimée par les processus civils établis par des formes de pouvoir institutionnalisées, veut briser ses chaînes grâce à la danse moderne et le tanztheater. Michel Foucault, qui déjà à la fin des années 70 dans le premier volume de son histoire de la sexualité, a mis à jour une théorie de la répression et, également, la dualité stricte de l'individualité et de la suppression, considère le va-et-vient entrelacé du corps et du pouvoir comme étant le vrai processus de production : tout comme la créativité met d'abord en avant ce qu'elle doit à nouveau contrôler simultanément. Les éléments de composition sont tellement imbriqués les uns dans les autres, que même la danse pour la scène, au lieu d'être émancipatrice, est uniquement capable de dicter des positions, des déplacements et des pauses tout en (dé)construisant les images du corps. Bel considère le corps comme étant la zone d'émanation que Roland Barthes, à propos du texte, décrit comme « n'ayant aucune autre origine que celle du langage, un langage qui remet constamment en question toutes les origines ». Les images du corps créées par Bel sont des corps de texte lisibles, semblables à des palimpsestes composés de gestes d'entrée sur le corps même. Ils sont constitués d'une concentration de citations qui se nourrissent d'innombrables pratiques culturelles.