RB JEROME BEL
spectacles > the show must go on > presse > 03.2005 - the new york times

D'après le quotidien français La Croix, Jérôme Bel est un « non-chorégraphe de non-pièces présentées sur scène de préférence par des non-danseurs ». M. Bel, qui est devenu une figure culte internationale dans le monde de la danse en remettant en question ses conventions, est tout à fait d'accord avec cette description. « Il n'existe aucun virtuose » a déclaré M. Bel concernant sa troupe de 40 interprètes. « Nous ne sommes pas là pour être admirés. Nous ne sommes pas des séducteurs. C'est une perspective très radicale à mettre en scène. ». Provocatrices, cérébrales et drôles, ses créations minimalistes annulent la distance réconfortante qui existe entre l'interprète et le spectateur. « J'essaye de créer un équilibre entre la scène et l'audience », a déclaré M. Bel, « et non de dominer le public. ». Cela lui a valu à la fois des acclamations et les foudres des critiques européens. Les habitants de New York vont avoir l'opportunité pour la première fois d'en juger par eux-mêmes à partir de jeudi, avec le Dance Theater Workshop qui présente « The Show Must Go On ».

« Les gens qui connaissent bien les codes de performance comprennent ma manière de jouer avec eux », a déclaré M. Bel. « Et ceux qui ne les connaissent pas adoptent mes nouveaux codes. J'ai un problème avec ceux qui se situent entre les deux : la bourgeoisie, ceux qui sont sûrs de leurs valeurs. ». Ce sont eux qui ont rempli le Théâtre de la Ville ici, dit-il, lors de la première de « The Show Must Go On » en 2001. Plongés dans une obscurité totale pendant les quelques minutes d'ouverture, nous leur avons fait entendre des titres enregistrés de « West Side Story » et de « Hair ». Gagnés par une nostalgie collective, ils ont brandis des briquets, applaudi et pouffé de rire. Lorsque la lumière est revenue, les interprètes, habillés en vêtements de ville, fixaient le public, telle une publicité pour Gap prenant vie. Ensuite, David Bowie a chanté « Let's Dance » et les interprètes se sont lancés dans un groove inexpressif. Ils se sont mis par paires et ont levé les bras dans un style « Je suis le roi du monde ! » sur la chanson « My Heart Will Go On » de « Titanic ». Ils ont maladroitement canalisé leur « Ballerina Girl » intérieure de Lionel Richie. Au son de 18 hits mondiaux, ils ont exécuté de manière rigoureuse des mouvements ironiques dénués de toute beauté et brutaux, très peu d'entre eux étant de vrais pas de danse. M. Bel se souvient que les spectateurs ont criés, sifflé, envahi la scène et exigé des remboursements ; un critique en a frappé un autre. Le critique du journal Le Monde a écrit : « Le spectacle est dans l'audience ». Il y a peu de temps, dans son café préféré du Centre Pompidou, M. Bel, 40 ans, a indiqué que ce tumulte était « un scandale ». « C'était odieux », a-t-il dit en fermant les yeux et en souriant. « Horrible ! ». Mince, brun, habillé en orange, jaune et magenta, il n'a rien bu et a agité les bras dans tous les sens comme le danseur qu'il a été jadis. « C'était la première » a-t-il dit, « et j'ai bien cru que c'était la dernière fois ».

Mais « The Show Must Go On » a été produit dans le monde entier, comme la majorité de ses spectacles qui ont suivi le premier (« Nom donné par l'auteur », 1994). Suite au spectacle « Jérôme Bel » en 1995, un homme à Dublin a intenté un procès en raison de la nudité et de l'urination sur scène. (Affaire classée.) Lorsque « The Show Must Go On » a été joué en Israël l'année dernière, M. Bel a déclaré qu'une femme dans le public avait montré ses fesses et que quelqu'un avait sauté sur scène et donné un coup de pied à un danseur. Le travail de M. Bel fait aussi l'objet d'un accueil plus chaleureux. L'année dernière, « Véronique Doisneau », une création commandée pour le Ballet de l'Opéra de Paris sur une danseuse de 41 ans proche de la retraite forcée, connu un grand succès auprès de la critique et du public.

Né dans le sud de la France, M. Bel a grandi en Algérie, en Iran, au Maroc et en Afrique du Sud avant de revenir en France pour étudier au Centre de danse contemporaine d'Angers. A partir de dix-huit ans, il a travaillé pendant dix ans en tant que danseur. En assistant Philippe Découflé dans la mise en scène de la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques d'hiver de 1992 à Albertville, il s'est rendu compte qu'il était plus intéressé par la réalisation que par la performance. Il a passé ensuite deux ans à développer son vocabulaire de performance en étudiant la philosophie, la performance et la sémiotique.

« Tout cela m'a donné les outils nécessaires pour reconsidérer le travail du chorégraphe », a-t-il dit. « A partir de là, la question est devenue la suivante : ‘Comment produire un spectacle sans danse ?' En France, on qualifie mon travail de conceptuel, l'idée étant plus importante que la réalisation. Je ne produis pas de spectacle de danse. Je travaille à la frontière de la danse. ». M. Bel a déclaré qu'il s'amusait lorsqu'il voyageait et qu'il devait remplir la rubrique « profession » sur ses formulaires d'immigration : il a utilisé les termes « danseur », « acteur », « dramaturge », « penseur » et « sans emploi ». Lors des deux années qu'il lui a fallu pour créer « The Show Must Go On », il était toujours en déplacement ; il a déclaré que le fait d'utiliser des chansons pop omniprésentes lui a permis de puiser son inspiration partout, « dans les supermarchés, les cafés, les taxis de Hong-Kong, à Madrid, à Helsinki ou à Bangkok ». Il a dit avoir associé les chansons et le mouvement « pour produire un discours, une manière de voir le théâtre, la communauté ». « Et j'aime l'idée de communauté » a-t-il ajouté. « Qu'est-ce que cela signifie de vivre ensemble, de se respecter ou non les uns les autres, d'exercer un pouvoir ? ».

La version nord-américaine de « The Show Must Go On » comporte un avertissement indiquant que le spectacle contient une scène dans laquelle on voit un homme complètement nu de face, en rapport à une scène dans laquelle un danseur illustre les paroles « I Like to Move It » de Reel 2 Real, en balançant de manière acrobatique ses parties intimes au rythme de la musique. Mais M. Bel a déclaré que ce danseur se produisait dans un autre spectacle et n'avait pas l'intention de venir à New York, et qu'il n'avait pas encore trouvé de remplaçant acceptant de le faire. Le spectacle continuera, a-t-il dit, même avec des culottes.

Kristin Hohenadel 20.03.2005