Jérôme Bel : Je me suis aperçu récemment que ces quatre dernières années, toutes mes pièces faisaient suite à des invitations, des « commandes » en somme. C’est dingue, je n’ai plus le temps de développer mes propres idées, même une petite idée un peu à part, mais je réponds à des commandes. A des contextes. Maintenant, c’est des contextes.
Daniel Buren : En réalité, l’artiste travaille toujours sur commande, terme un peu obsolète auquel je préfère les termes d’invitation, de demande, d’offre. Je ne parle pas seulement des choses qu’on peut faire dans l’espace public, mais aussi dans le musée, dans la galerie, etc. Même dans le cas de la galerie d’art, où on est le plus libre possible, c’est une « commande » à laquelle on répond quand même !
Jérôme Bel : Le plus agréable, c’est quand on me propose des contextes que je n’aurais pas investi par moi-même, comme l’Opéra de Paris. Je n’avais jamais imaginé faire un spectacle avec une danseuse classique. Et le pire, c’est quand on vous dit : « venez et faites ce que vous voulez ». Pour ça, je peux aussi bien rester chez moi !
Car en tant que chorégraphe vous vous posez avec acuité la question du contexte…
Jérôme Bel : Ah, oui ça m’intéresse beaucoup, et en effet ce n’est pas le cas chez tous les chorégraphes. Je travaille beaucoup « in situ ». Ça fait d’ailleurs bizarre de dire cela face à Daniel Buren ! En fait, je me suis très tôt identifié à votre manière de travailler, notamment à cette idée de ne pas avoir de studio. Parce que vous avez abandonné très tôt l’idée d’atelier, et ça m’a vraiment aidé. Mon modèle de travail, c’est vraiment l’artiste, ou l’écrivain, le romancier seul à réfléchir sur son travail. Même si au final je négocie avec des interprètes. Et aussi avec un contexte. L’Opéra de Paris était un contexte tellement fort, tellement déterminant, que je ne m’imaginais pas en faire abstraction. Pareil pour la Thaïlande : je ne me vois pas y amener mes danseurs, les loger dans un quatre étoiles et répéter un spectacle dans un théâtre à Bangkok. Non, une fois sur place je travaille sur la danse thaïlandaise, et sur les relations entre cette culture et la nôtre.
Daniel Buren, dans vos quelques participations plastiques à des spectacles vivants, comme le Cirque ? Estimez-vous encore travailler « in situ », ou est-ce au contraire une toute autre manière de faire ?
Buren : Non et là ma réponse est simple : ce qui est par essence « in situ », c’est le théâtre, le cirque. C’est là où ça se joue, sous les yeux de témoins, dans un milieu précis, c’est complètement in situ, bien avant que cette notion ne soit introduite dans le monde de l’art, sauf peut-être à la Renaissance, car il ne faut jamais oublier que les fresquistes de la Renaissance travaillaient in situ. Mais entre temps on a un peu oublié cette dimension du travail artistique, et une autre tradition a installé l’idée que l’artiste était complètement libre, comme détaché de tout contexte en dehors de celle de sa toile.
Bel : Chez nous, il y a quand même ce phénomène des compagnies indépendantes auxquelles j’appartiens : je suis maître de mon outil, de la manière dont je le produis et le présente. Mais en réalité j’ai fait rentrer dans le cadre de la compagnie indépendante toutes les commandes qu’on a pu me faire. Je n’ai plus le temps d’être indépendant ! Je suis extrêmement dépendant !
Buren : C’est le paradoxe. Qui dit « in situ » donne l’impression d’abandonner la liberté de l’artiste pour répondre à un contexte donné, au point que certains ne voient là que de la décoration. Ces critiques m’ont été adressées, mais j’en étais conscient bien avant que ces critiques n’existent et j’avais déjà incorporé ce problème et son contre-poison dans mon travail même.
Jérôme Bel : C’est l’idée préconçue et absurde de la liberté de l’artiste. Est-ce qu’on est libre ? Non, et cela qu’on soit tout seul dans sa maison, devant son chevalet, ou dans un musée avec des murs, des fenêtres, du public… C’est un paradigme obsolète. Moi au contraire ça m’intéresse de travailler à l’intérieur de cette réalité, et la commande est intéressante pour ça : on n’est pas libre, il y a un contexte, des contraintes, des spectateurs. Comment, à l’intérieur de quelque chose de contraignant, avec des règles extrêmement précises, peut-on malgré tout s’immiscer. Je trouve même ça plus facile au fond. Plus j’ai de contraintes, plus je vois où il faut que je travaille, mon sujet se précise, j’adore ! Si on me dit « fais ce que tu veux », là ça ne m’intéresse pas. Non, moi je veux faire ce qu’il y a à faire, là.
Jérôme Bel, avez-vous déjà fait des chorégraphies dans l’espace public ?
Bel : Non, on m’a déjà proposé, car ce type d’opérations a beaucoup de succès, mais malheureusement je ne peux pas imaginer mon travail en dehors du théâtre. Si ce que je fais sur scène se trouvait dans l’espace public, personne ne le verrait. Chez moi ça n’a de sens que parce que je le fais sur scène et que j’oblige les gens à le regarder, car la tradition du théâtre occidental c’est de fermer sa gueule et de rester, au moins jusqu’à l’entracte. En Suisse, une fois j’ai fait quelque chose. Mais c’était tellement banal que les gens ne le voyaient pas. Seule la boîte noire du théâtre, avec les éclairages et la position non-mobile du spectateur me permet de montrer les choses. Récemment j’ai refusé une proposition dans un aéroport. Je n’imagine pas qu’on puisse faire quelque chose dans ce genre de contexte, au milieu des passagers avec leurs bagages.
Daniel Buren : C’est intéressant, car l’une des rares fois où j’ai refusé de faire quelque chose d’un peu alléchant, c’était pour l’aéroport de Munich. J’ai peut-être eu tort d’ailleurs, car d’autres artistes ont finalement réussi à faire des choses pas si mal. Mais je ne le sentais pas. Et moi aussi je connais trop bien les aéroports pour savoir qu’on peut y avoir plein d’envies, mais certainement pas celle de regarder une œuvre. Se pose un autre problème : est-ce que tous les lieux, spécifiques ou non, est-ce que tous les contextes peuvent accueillir un travail plastique ? Je ne le crois pas. Dans l’espace public d’ailleurs certaines propositions artistiques sont souvent acceptées au nom de leur relative invisibilité . L’avantage : ça ne dérange personne, ça ne coûte généralement pas cher, ça ne provoque rien, et personne ne les voit, donc c’est bien !
Bel : Et à l’inverse, il y a chez nous toute cette tradition de la rue. Une de mes idées pour le Centre Pompidou aurait été de faire venir dans le théâtre ces gens qu’on voit faire des choses sur le parvis de Beaubourg. Comme ce mime tout grimé de blanc et qui ne bouge pas d’un cil, là ça me tente de le faire monter sur scène. Faire venir dans le théâtre des choses qui se passent à l’extérieur, ou en coulisses, ça ressemble déjà beaucoup plus à ce que je fais. Le spectacle Véronique Doisneau à l’Opéra de Paris relève par exemple de cette démarche.
Comment avez-vous regardé ce spectacle de Jérôme Bel ? Et y avez-vous tu reconnu votre propre démarche de l’in situ, mais appliquée cette fois au champ de la scène ?
Buren : J’ai été absolument emballé par le spectacle, mais sans jamais penser à rien de moi. Et d’ailleurs je ne pense pas que c’est ainsi qu’on puisse voir les choses des autres. J’y ai réfléchi, et après avoir lu une phrase où Jérôme se disait influencé par mon travail, j’ai pu faire le lien, et m’apercevoir ce qu’il pouvait entendre par là et bien sûr j’en suis très fier.
Bel : Oui, mais je peux vous redire aujourd’hui que tout ça m’est notamment venu grâce à votre idée de l’art, à cette histoire d’in situ, de travailler sur le contexte. Pour moi la danse n’est qu’un outil, comme les rayures chez vous. J’ai toujours pensé que c’était un langage, un outil, et c’est pourquoi que je peux travailler avec une danseuse classique ou avec des danseurs de hip hop, qui sont aujourd’hui les deux figures les plus reconnaissables de la danse. Alors qu’un danseur contemporain est beaucoup plus difficile à définir.
Buren : Surtout dans la rue ! En plus j’ai vu Véronique Doisneau le soir de la première à l’Opéra de Paris, et la pièce venait juste après le défilé si conventionnel de tous les danseurs qui montent sur scène, depuis les petits rats jusqu’aux danseuses étoiles. C’est comme les grandes eaux de Versailles, c’est magnifique et c’est aussi le cliché absolu. Et ensuite vous voyez arriver sur scène cette danseuse qui n’a jamais réussi à être une étoile, venir raconter son histoire, dire tout ce qu’elle avait de rapport douloureux ou exaltant à l’Opéra, j’ai trouvé ça formidable. Parce qu’en plus il y avait aussi des choses à voir, de la danse et de la critique du métier de la danse. Du vrai plaisir ne camouflant pas une vraie souffrance. Et j’ai été étonné par la réaction du public. Je m’attendais à des sifflets, vous aussi j’imagine. Mais parce que c’était très fin, les spectateurs traditionnels de l’Opéra ont été touchés par quelque chose qu’au fond d’eux-mêmes ils savent, et qui est une certaine vérité cachée de l’Opéra.
On touche ici à une idée qui vous est à tous les deux essentielle, c’est la notion de critique. Daniel Buren vous avez contribué à ce qu’on a appelé la « critique institutionnelle », et d’une certaine façon le spectacle de Jérôme Bel à l’Opéra relève aussi de ce genre. On voit bien que faire la critique d’un lieu, d’une institution, d’un contexte, ce n’est pas forcément en dire du mal, en tous cas ce n’est pas un démolition complète. C’est surtout une manière d’interroger l’endroit, d’être dans une justesse, une vérité du lieu, et d’en dire aussi les aspects magnifiques.
Buren : Tout à fait, il faut même accepter que la « critique » en question joue dans tous les sens. L’accent peut être très critique, mais la sensibilité plastique ne peut pas s’enfermer dans un rapport exclusivement négatif. Je me suis toujours battu contre ça, même si au début j’étais plus souvent critique qu’autre chose. Mais très vite, dès que je me suis rendu compte, au début des années 70, qu’on voulait faire rentrer mon travail dans une case politico-critique, j’ai immédiatement intégré des choses qui accentuaient le côté plastique esthétique de mon travail auxquelles je n’osais pas m’adonner jusqu’alors. Parce que si le travail plastique ne peut tenir que par son discours critique, un jour ou l’autre il va s’effondrer dans cette critique. On a des exemples dans le milieu de l’art de très bons artistes comme Hans Haacke par exemple, qui se sont enfermés dans un régime critique exclusif. Dès qu’il fait quelque chose, on attend de lui qu’il fasse la critique féroce du musée, de la galerie, de ceux qui financent et on regarde comment, dans ce cas précis, il va nous raconter son histoire et où elle nous mène. D’autres, me direz-vous, ne font que des bouquets de fleurs et vous aurez raison !
Bel : Oui, moi j’aurais pu détruire l’Opéra. J’aurais pu trouver une danseuse aigrie, qui ne va pas bien, qui en veut à l’institution. Et au début j’ai fait l’erreur de vouloir travailler avec « la plus mauvaise danseuse ». L’Opéra a refusé, alors j’ai claqué la porte. Puis ils m’ont rappelé et m’ont proposé de choisir une danseuse située au milieu de la hiérarchie. Prendre les choses au milieu, c’est ce qu’il y avait de mieux. Parce que « Crisis », la critique, c’est mettre en crise, ouvrir la chose, montrer cet endroit-là, et avec Véronique Doisneau j’ouvre précisément l’Opéra de Paris en son milieu. La danseuse Véronique Doisneau se situe au milieu du corps de ballet de l’Opéra, elle n’est pas une étoile mais pas loin. Elle a du coup des problèmes avec la maison, mais elle a aussi des joies, et à chaque spectateur de faire sa balance.
Buren : Ce détail montre bien ce que veut dire accepter la commande. Sans ce dialogue, le spectacle n’aurait pas eu son équilibre. Alors que si tu avais agi seul et en toute liberté, tu te serais sans doute égaré et le spectacle n’aurait sans doute pas eu cette force. Dans toutes commandes il y a, avant tout, acceptation de l’autre.
Daniel, vous avez parfois utilisé des gens comme médiums, que ce soit des figurants pour une performance, ou les gardiens de musée que tu avais costumés de gilets rayés. Et on touche là aux limites du théâtre, de la mise en scène, voire de la chorégraphie…
Buren : Oui, j’ai notamment fait dans les rues de New York en 1973 puis en 1975 une intervention intitulée « 7 Ballets in Manhattan » qui relève pleinement de la chorégraphie. C’étaient des « manifestants » qui se promenaient avec une pancarte de couleur, comme dans une grève. Ils avaient un parcours, ils tournaient pendant deux heures, et changeaient de quartier tous les jours. La seule chose qu’ils avaient droit de répondre aux passants qui leur posaient des questions, c’était le nom de la couleur dont ils étaient le porteur. Avant, début 1968, j’avais fait à Paris un travail avec des hommes-sandwichs. Et sinon, les gilets des gardiens de musée travail initié en 1977 et visible au MOMA en ce moment même, dans l’exposition « Color Charts », où j’ai fait faire 150 gilets de cinq couleurs différentes. Ça compose un ballet improbable avec cette armée de gardiens qui se croisent et se mélangent à tous les étages.
A l’inverse, vous avez aussi mis en scène les Superpositions colorées, où on vous voyait faire faire une peinture en direct à des assistants. C’est quelque chose de très autonome, et proche de l’atelier. Il y a sur scène un grand mur vide sur lequel vous dictez, vous commandez à cinq personnes de coller ou de déchirer des papiers colorés. Le spectacle d’une peinture en train de se faire.
Bel : Là il y a un acte théâtral performatif, c’est vous qui dictez aux assistants de mettre là ou là les papiers collés. Vous êtes le metteur en scène du spectacle, en temps direct. Je dois dire que c’est mon rêve absolu ! Diriger les acteurs en même temps qu’ils jouent, c’est mon rêve. Moi je les dirige avant, ou le lendemain, mais pendant la représentation ils ne font pas toujours ce que je leur ai demandé ! C’est la limite du metteur en scène : à un moment le spectacle est fait, et tu ne peux plus rien leur dire. Personne n’a jamais fait ça, à part Taddeus Kantor , qui était sur le bord et qui intervenait pendant le temps de la représentation. Je l’ai vu ici, à Beaubourg, et ça m’avait complètement fasciné. C’est un geste auquel je ne cesse de réfléchir. Oui, c’est vraiment mon rêve. Si ce soir-là le chef d’orchestre est mélancolique, il peut changer l’orchestre, et le jeu. C’est absolument performatif, il est dans son idée de l’œuvre dans l’instant même où elle se joue.
Buren : Je n’avais jamais pensé à ça, c’est drôle, mais c’est vrai ! Et je n’ai jamais vu ça moi non plus au théâtre ou dans la chorégraphie. Mais oui, je suis là comme un chef d’orchestre qui dirigerait une musique qui n’est pas encore écrite mais que les performants pourraient cependant à la fois suivre et composer en même temps . C’est comme un ballet aussi, et j’improvise au fur et à mesure de ce qui se passe, avec toutes les surprises qui peuvent arriver.
Bel : Oui, il faut bien dire que vous avez touché là à l’essence même du théâtre. La mise en scène dans son aspect le plus performatif, pour moi c’est l’essence du théâtre, et tout le monde cherche ça, ce présent. Et ce sont toujours des gens d’ailleurs qui viennent nous aider à nous en approcher.
Buren : Mais mon point de départ n’était pas du tout le théâtre, mais le faire de la peinture, de toutes peintures : le spectacle de ces peintres amateurs qu’on voit parfois dans la rue en train de peindre. Aux Etats-Unis, il y a même des émissions où on apprend aux téléspectateurs à faire de la peinture. En général il s’agit toujours de peindre un paysage de montagne avec un lac !, et on assiste à la fabrication progressive du tableau. C’est ce qu’il y a de pire en matière de peinture, mais il y a malgré tout quelque chose de fascinant dans la manière dont le tableau se fait. C’est la fascination de ce faire, que ce soit exécuté par un peintre du dimanche ou bien par Picasso, qui m’intéresse. Ça a déclenché chez moi ce type de performance. Assurément, il y a un plaisir de faire qui touche tous les gens qui peignent, que ce soit Picasso ou Yves Brayer. Mais ensuite il y a une confusion : ce n’est pas parce qu’on a pris du plaisir à faire quelque chose qu’on doit automatiquement le montrer aux autres sous prétexte qu’ils y trouveront plaisir aussi. Là, ça devient un problème.
Bel : En danse on voit parfois le plaisir du danseur pour lui-même. Et c’est épouvantable. Effectivement on peut jouir en dansant, et il faut peut-être avoir ce plaisir, mais pourquoi me le donner à voir ? Ça ne suffit pas. Moi, spectateur, je veux jouir aussi !
Buren : Exactement. Dans ces émissions, c’est toujours catastrophique à la fin. Quand le type finit son paysage de montagne, c’est horrible. Mais pendant tout le temps où on le voit faire, il y a quelque chose de fascinant. Le problème, c’est le résultat. Alors à la fin du spectacle des Superpositions, la scène s’éteint, l’œuvre réalisée sur scène est détruite et il n’en reste plus rien. Ce qui compte ici, c’est uniquement le processus, pas son résultat.
Ça intéresse en effet beaucoup la danse contemporaine de faire monter sur scène la fabrique du spectacle, son work in progress…
Bel : Oui, et je tiens beaucoup à cette idée. J’essaie toujours de faire en sorte qu’au cours de la représentation, le spectateur comprenne comment je fais le spectacle. Du début à la fin, c’est chez moi une des lois du travail. Il y a des règles du jeu, le spectateur les apprend et il voit ensuite comment je commence à tricher, à jouer avec ces règles. Pour moi, ça c’est le travail de la pensée. J’aime beaucoup cette émission à la télé américaine que vous mentionnez. Quand je vois quelqu’un qui met d’abord les couleurs, la forêt au fond, et qui place ensuite les personnages, je suis dans sa tête, je vois la pensée à l’œuvre. Il y a une construction, et je suis émerveillé par ça.
Buren : L’une des choses très belles du spectacle vivant, c’est le ce jeu sur le temps. Pour moi ce temps est également présent dans les arts de l’espace, il est même indissociable de ce qu’on voit. Il est, à mes yeux, contenu explicitement dans le terme in situ quand je l’emploie par exemple. Evidemment c’est vrai aussi de la peinture traditionnelle, le temps n’y est pas énoncé en tant que tel, il n’est presque jamais senti par le spectateur, mais il est là, indécollable de ce qu’on voit. C’est d’ailleurs ce que je trouve beaucoup plus excitant dans la peinture par rapport à la vidéo : le temps n’est pas figé à l’avance. Il est libéré dans la peinture. Un tableau, c’est une seconde, ou cent ans, de plus cette notion n’est jamais imposée et ne dépend que de celui qui regarde.
Bel : Là, c’est votre avantage. Dans ces arts visuels, le spectateur décide de son temps. Nous, on est coincé là dans le noir pour une durée déterminée. Et je vois bien que les artistes que je connais ont beaucoup de mal à rester au théâtre ! Car ils sont par habitude, et par choix esthétique aussi, dans une idée très différente du temps de l’œuvre, librement fixée par le spectateur.
Propos recueillis par Jean-Max Colard