RB JEROME BEL
textes et entretiens > 11.2004 jérôme bel - dance magazine
Nu en présence de ses ennemis

« A Montpellier, certaines personnes ont essayé de monter sur scène et d'arrêter la pièce. » Se remémorant l'épisode lors d'une discussion après une représentation à Dublin il y a deux ans, le chorégraphe français Jérôme Bel n'avait pas l'air d'être ennuyé par les trois personnes qui ont discrètement quitté la salle ce soir-là. Mais quelques heures plus tard, l'une de ces personnes, Raymond Whitehead, un antiquaire et acteur amateur, se plaignait sur Irish talk radio de la nudité et de la scène où un interprète urine sur scène. En juillet dernier, les poursuites judiciaires qu'il avait entamées contre les producteurs, International Dance Festival Ireland, se sont enfin concrétisées en passant devant les tribunaux.

Malgré une photo du danseur Frederick Saquette recouvrant son pénis avec son scrotum et le texte figurant sur la brochure : « Jérôme Bel n'a rien à voir avec l'idée que vous vous faites de la danse » - Whitehead a déclaré que le festival n'avait pas respecté son contrat en ne précisant pas que la création éponyme de Bel impliquait un acte d'urination et la manipulation de parties du corps. Réclamant 38 000 euros de dommages, il s'est également plaint que la pièce ne contenait « aucun pas de danse ». En classant l'affaire, le juge a déclaré dans le cadre restreint de la rupture de contrat, que le festival n'avait pas trompé le public par négligence.

Ce n'est pas le cas en Grande-Bretagne, où la British Advertising Standards Authority a récemment statué contre la Phoenix Dance Company concernant une affiche montrant un pas de deux exécuté par des danseurs nus. Etant donné que ce pas de deux n'avait pas été exécuté dans le cadre du programme « habillé » annoncé sur l'affiche, la British Advertising Standards Authority a reçu une plainte d'une personne déclarant qu'elle avait le droit de voir des danseurs nus.

La danse n'a pas connu de problèmes relatifs à l'immoralité depuis un certain temps en Irlande. En 1929, l'une des premières compagnies de danse à venir dans le pays, une déclinaison de la troupe d'Anna Pavlova, fut dénoncée par plusieurs prêtres lors de sa venue à Cork. Suite à cela, le public fut si restreint que la compagnie dut écrire à Londres afin qu'on lui envoie de l'argent pour retourner en Angleterre. Quinze ans plus tard, la danseuse Swanilda vêtue d'un tutu et se produisant pour le Cork City Ballet de Joan Denise Moriarty fut décrite par un prêtre comme une « silhouette de femme à demi-nue qui a enfreint tous les codes normaux de la décence. »

Avec la sécularisation de la société irlandaise, les préjudices à l'encontre de la danse sont moins répandus aujourd'hui. Bien que le cas de Whitehead soit inhabituel, il a tout de même soulevé des questions. L'International Dance Festival Ireland, qui présentait également Rosas, le Mark Morris Dance Group et Josef Nadj, a obtenu gain de cause mais doit tout de même verser des frais de justice s'élevant environ à 10 000 euros ; et étant donné que le juge a rejeté la demande de Whitehead, le festival n'a jamais eu l'occasion de présenter sa défense.

Dans un article pour The Irish Times, le président du festival, Dermot McLaughlin, a déclaré que cet argent pouvait servir à financer un ou plusieurs éléments du festival à venir en 2006 et a remis en question l'application stricte des codes de publicité. « Les artistes et les compagnies vont-ils hésiter devant l'obligation de décrire leur travail dans des termes plus adaptés à des produits de consommation qu'à une intention et une expérience esthétique ? A quand le jour où une organisation artistique sera poursuivie en justice pour avoir présenté une création « subversive » qui n'est pas suffisamment subversive aux yeux d'un client mécontent ? »

Dans une lettre adressée à The Irish Times, Bel fait appel au bon sens : « Restons dignes. Ce n'est que du théâtre. Tout est faux. La vérité est à l'extérieur du théâtre, dans la rue, où certaines situations sont vraiment choquantes. Qui devrais-je poursuivre en justice pour laisser des gens vivre dans la rue ? »