RB JEROME BEL
textes et entretiens > 01.2001 divers - les inrockuptibles

Fabienne Arvers : En suivant de pièce en pièce la mise à plat de tout ce qui est censé constituer une chorégraphie, une représentation, j’aimerais savoir comment et pourquoi vous êtes passé du statut d’interprète à celui de chorégraphe ? D’une façon générale, et avant d’aborder l’aspect polémique de vos spectacles, pourquoi faites-vous ça ?

Jérôme Bel : Lorsque je suis devenu assistant de Phillipe Découflé pour les Jeux Olympiques d'Albertville, je me suis rendu compte que je préférais organiser les mouvements que les faire moi-même. Cela a été une véritable révélation. Depuis je déteste monter sur scène moi-même et je ne le ferai plus dorénavant. Le travail de mise en scène est pour moi d'une intensité incomparable, je ne veux faire que ça.

Fabienne Arvers : Pour vous, un spectacle, c’est quoi ?

Jérôme Bel : C'est des gens vivants dans l' obscurité qui en regardent d'autres vivants dans la lumière.

Fabienne Arvers : Peut-on voir dans les formes que vous proposez un contrepoint, une alternative à la production chorégraphique majoritaire, en France comme ailleurs, c’est-à-dire celle qui se vend le mieux ?

Jérôme Bel : Non, je ne pense pas, tout d'abord je ne suis ni minoritaire, ni marginalisé, je travaille avec des institutions importantes et des festivals internationaux parmi les plus reconnus. Mon travail a une grande visibilité sur le plan international, il se vend très bien.

Fabienne Arvers : D’ailleurs, comment percevez-vous le rapport à l’argent et sa façon d’induire les relations entre artistes et spectateurs ?

Jérôme Bel : Sans doute faites vous allusion aux spectateurs qui, à Paris, pendant les spectacles que nous avons récemment donnés ont demandé à se faire rembourser.... J'avoue que cela m'a beaucoup surpris, en effet, il me semble que l'argent d'une place de théâtre dit "contemporain" est une sorte de pari, je veux dire que lorsque que l'on va voir quelqu'un comme moi, d'aussi peu connu, il me semble évident que l'on ne sait pas ce que l'on va voir...et qu'il est possible que l'on perde son pari. Pour utiliser l'expression consacrée, je ne suis pas une valeur sûre. Tant pis ils auront misé sur le mauvais cheval... mais non, ils veulent leur argent sur le champ. Ces gens -là ne parient plus, ne risquent rien...ils consomment. Ils veulent passer une bonne soirée. Mais moi je ne veux pas qu'ils passent une bonne soirée, j' ai beaucoup plus d'ambition que de faire un bon spectacle, qu'ils louent Volte-Face de John Woo avec Travolta et Cage, que j'ai vu avant-hier et qui est excellent, au vidéo-club en bas de chez eux, en plus ce sera moins cher probablement.

Fabienne Arvers : Plus largement, quel est votre sentiment face aux réactions agressives du public comme ce fut le cas avec Le dernier spectacle au théâtre des Abbesses et The show must go on au Théâtre de la Ville ? Pensez-vous que la forme de provocation inscrite ou générée par vos pièces appelle ou autorise ce genre de réactions ?

Jérôme Bel : Je ressens de la tristesse, j'essaie de faire un travail non-prostitutionnel, j'essaie de responsabiliser le public, de donner à chaque spectateur la possibilité de réfléchir, de se positionner intellectuellement face à certaines problématiques qui sont présentées dans les spectacles, de libérer sa subjectivité et le résultat est une prise de pouvoir du spectateur durant la représentation, une rupture du contrat théâtral occidental , celui dans lequel je croyais évoluer, ainsi que les spectateurs. Je rajouterais que je ne considère pas mes spectacles provoquants, que la provocation ne m'interesse pas le moins du monde. Et ce qui s'est passé au Théâtre des Abbesses et de la Ville ne m'intéresse pas du tout. "Choquer le bourgeois" est le dernier de mes soucis. Je ne veux rien avoir à faire avec eux, qu'ils aillent voir Roméo et Juliette ou Les dix commandements au Palais des Congrés, ça ne me dérange pas du tout, mais qu'ils ne viennent pas voir mes spectacles, ou en tout cas qu'ils la ferment pendant le spectacle au moins, qu'ils quittent le spectacle en cours de route ne me dérange pas non plus, je peux le comprendre, au salut, évidemment ils ont toute la liberté de s'exprimer en huées, sifflets et invectives diverses. C'est le principe du théâtre occidental qui fonctionne à peu près comme cela depuis 2500 ans.

Fabienne Arvers : Vous ne serez resté que quelques mois à la Schaübuhne de Berlin. Pourquoi ? Dans quelles conditions aviez-vous accepté et qu’est-ce qui ne vous a pas convenu ? D’une façon plus générale, quelle est votre attitude vis-à-vis de l’institution ? Vis-à-vis de l’utilisation des Centres chorégraphiques nationaux ? Votre nomadisme peut-il être déjà considéré comme un début de réponse ?

Jérôme Bel : J'ai accepté un peu trop précipitamment de faire une production pour la Schaubühne à Berlin, et j'ai du me rétracter juste avant la signature du contrat ce qui etait inadmissible de ma part. J'ai agi malencontreusement par manque d'experience, en effet je n'étais pas conscient des responsabilités politiques que je prenais en travaillant dans ce contexte. Je suis en effet très critique quant au travail des deux directeurs artistiques Sasha Waltz et Thomas Ostermeier et d'un point de vue éthique il m'était devenu impossible de travailler dans le contexte de la Schaubühne. Comme je l'ai dit plus haut, je ne suis pas marginalisé et les trois dernières productions n'auraient pu être possibles sans l'appui conséquent d'institutions gouvernementales, culturelles et théâtrales. La reconnaissance internationale n'aurait pas eu lieu sans l'intervention régulière d'une institution qui a eu un rôle prépondérant des mes débuts, l'Afaa. Les centres chorégraphiques nationaux sont des outils fantastiques, ils sont enviés de Sao Paulo à Tokyo. Mon système de production actuel basé sur une mobilité extrême ne pourrait s'adapter à ses exigences mais je connais des artistes pour qui c'est le système idéal.

Fabienne Arvers : Aux Inaccoutumés de la Ménagerie de Verre, vous présentez Jérôme Bel qui avait déjà été présenté lors de la première édition des Inaccoutumés. Pourquoi ce choix et le terme de répertoire vous convient-il lorsque vous reprenez vos pièces ou s’agit-il d’autre chose ? Par exemple, mettre l’accent sur l’interprétation dans la durée, sur ses modifications, son évolution ?

Jérôme Bel : La décision de continuer à jouer les pièces anciennes est sentimentale, je ne supporte pas de les voir disparaître, économique, le choix de spectacles qu'offre la compagnie aux théâtres est plus grand, artistique, l'alternance des pièces met en perspective mon propre travail, les pièces se questionnent les unes les autres et cela me stimule.Il est vrai que les pièces évoluent au fil des années et que nous les modifions sans cesse.

Fabienne Arvers : Passer à la Ménagerie de Verre ou au Théâtre de la Ville, ça change quoi pour vous et pour vos interprètes ?

Jérôme Bel : Ca ne change rien, sinon un peu moins d'argent et de confort... certes. Cependant il était important pour moi de signifier, en passant à la Ménagerie de Verre, que ce n'était pas parce que je présentais maintenant mes spectacles au Théâtre de la Ville que je laissais tomber des théâtres moins prestigieux ou carrément underground. Il est vrai, aussi que l'espace scénique qu'offre la Ménagerie de verre est le plus adapté de Paris à la pièce Jérôme Bel.

Fabienne Arvers : Quand on vous dit "danse" (pas l’impératif mais le nom commun) qu’avez-vous envie de dire ou de faire ?

Jérôme Bel : « Il faut que je rélfléchisse »

Fabienne Arvers : Est-ce que vous n'en avez pas marre de répondre à des interviews ?

Jérôme Bel : Oui, effectivement, merci de me poser cette question qui va devenir la dernière puisque j'ai décidé de ne plus donner d'autres interviews jusqu'en 2002. Bonne année et à l'annnée prochaine!