RB JEROME BEL
textes et entretiens > 02.2000 divers - adc genève

Dans les articles que nous avons publiés dans notre dernier numéro, ton travail est régulièrement cité. On pourrait presque dire que tu es l’une des figures représentatives d’une nouvelle forme chorégraphique. Comment analyses-tu cela ?

Tout d’abord je ne considère pas ma production comme “une nouvelle forme chorégraphique” et je me considère donc encore moins comme l’une des figures représentatives de celle-ci. Mes pièces intéressent les critiques car elles comportent elles mêmes leur propre critique, au sens de ” mettre en crise”. Je ne peux imaginer une oeuvre, digne de ce nom, qui ne se questionne elle-même sur sa propre légitimité.

A la question de savoir si il existe de nouvelles formes chorégraphiques, dans les textes que nous avons reçus, on parle beaucoup de conceptualisation, en quoi , selon toi, ce phénomène est nouveau dans la danse contemporaine ? et plus singulièrement sur quel point particulier, à ton avis, ton travail se démarque fondamentalement de forme chorégraphique plus “conventionelle” ?

Cette conceptualisation n’est en rien nouvelle, c’est un phénomène qui est récurrent dans l’histoire de la danse dès qu’un individu essaie de la redéfinir. Dans mon cas je ne me démarque pas de la convention, j’en crée une autre qui me permet de m’exprimer plus explicitement. La “conceptualisation” n’est qu’un moyen et non une fin.

Pour certains auteurs, tu fais partie d’une génération de danseurs-chorégraphes qui utilise la “stratégie de citation”, ou l’emprunt de démarche post-modernes comme une volonté de confronter la question de l’art, afin d’expérimenter la danse comme un champ de recherches esthétiques. Es-tu d’accord avec ce type de définition ou situes-tu ta demarche sur un autre plan ?

L’utilisation de la citation chorégraphique est une de mes stratégies discursives (Jérôme Bel : Le sacre du printemps (1913) de Stravinsky pour Nijinski, Le dernier spectacle : Wandlung (1978) de Susanne Linke et le Tanztheater ). L'aspect écologique de la citation m'intéresse (recyclage). Elle me permet de mettre la danse moderne/contemporaine en perspective (historicisation) et d'essayer de déterminer une ontologie de la représentation. La citation enfin me sert à palier mon incapacité à produire de la danse. Mais d'un point de vue plus général, la danse, reste un medium me permettant de faire des spéculations d’ordre esthétiques, historiques, sociales et philosophiques (de café).

D’une façon plus générale les détracteurs de ce que nous pourrions définir comme une nouvelle génération de chorégraphes, dont tu fais partie, vous considère parfois comme des épigones des générations précédentes. Y a-t-il une réponse possible à ce point de vue ? Si oui laquelle ?

Cette idée de “nouvelle génération” est l’invention de quelques critiques paresseux et de responsables culturels inconséquents pour qui la formule est bien pratique, je parlerais, pour ma part, tout au plus d’affinités électives, et parfois stimulantes, avec quelques uns de ces chorégraphes. J’entretiens avec les “générations précédentes” des relations autrement plus complexes et intenses. Je considère leurs travaux comme un champ dans lequel je peux emprunter certains outils qu’elles ont mis à jour, je les considère miens comme je considère que toute l’histoire de l’art (et de l’humanité) m’appartient. L’histoire de l’art est un corpus, avec des solutions et des impasses, d’où je tire des lignes de fuite (de café deleuzien). Mon travail actuel n'est possible et surtout lisible, pour beaucoup que grâce/à cause de l'existence des leurs.

Pour en finir et en relation aux textes publiés dans le dernier journal de l’ADC, dont l’intention n’était pas d’exprimer une pensée unique, mais plutôt une confrontation d’idées, y a-t-il une idée qui t’a paru particulièrement pertinente et que tu souhaites relever où au contraire une opinion spécialement déplacée ?

Je voudrais juste dire à André Lepecki qu’il fait un contre-sens énorme à l'égard de mon travail avec l’idée de “démocratie de corps dansant”, cette notion n’a jamais fait partie de mon projet artistique, au contraire. Comme disait Pyrrhus “la démocratie est le moins pire des gouvernements”.