RB JEROME BEL
spectacles > the show must go on > presse > 11.2002 - art press hors serie danse

La troupe de vingt individus, le plus souvent placés selon une disposition en demi-cercle ou en ligne, n’est peut-être elle-même qu’une liste de personnes, présentée à notre inspection, sans jugement de valeur, sans nul commentaire, sans opinion.

Roy Faudre (du Wooster Group) que j’ai rencontré durant le festival LIFT de Londres, m’a dit quelque chose de très juste : « l’acteur en scène est celui qui dit : Voyez ; je suis une personne face à vous. Vous pouvez m’examiner des pieds à la tête. »

Bel qui a reçu une formation chorégraphique, a vraisemblablement inventé autre chose, une sorte de sculpture conceptuelle fondée sur le temps. Plus simplement, son théâtre est une sorte de cadre (un jeu) conçu pour que des gens puissent en regarder d’autres. Il est très fort pour construire des éclairages faussement transparents qui se posent sur des visages, des corps et des gestes d’êtres humains. Dans The show must go on, je me suis surpris à regarder les gens, à droite, à gauche, puis dans l’autre sens, un peu au hasard. Comment celui-ci regarde sa montre, comment celle-là baisse les yeux. La façon dont l’un fait bien cela, et cet autre un peu moins bien. Tout le monde a l’air beau dans les spectacles de Bel ; je m’en suis immédiatement rendu compte. Bien sûr, ils sont tous plutôt jeunes, sapés mi-chic, mi-destructuré comme dans une pub Gap, mais ce n’est pas seulement cela. Peut-être cette beauté apparaît-elle parce que chacun d’eux est (autorisé à être ? ou présenté ?) sur un mode résolument non-dramatique. Comme les personnages des Screen Tests (1964-1966) de Warhol assis à ne « rien faire » pendant quatre minutes face à une caméra fixe, ces performers peuvent bien transpirer, bailler, sourire, hausser les épaules, avoir le regard fixe ou se gratter le cul, cela n’a aucune importance. Jonathan Jones écrivait à propos des Screen Tests : « Vous pouvez juger les personnages de Warhol avec douceur ou sévérité, en rire ou les aimer. La plupart du temps, vous les étudiez, et, à mesure que vous les regardez, vous prenez conscience de l’endurance qu’il faut pour regarder, et de la tendresse qu’il faut pour se laisser regarder. » (The Guardian août 2001). De toute façon, les danseurs de Bel sont bien là devant nous, avec leurs qualités et leurs défauts, avec leurs tics, leurs idées et leur enthousiasme stupide, et dans leurs vêtements. De toute façon, ils semblent, comme me le disait un inconnu, « bien dans leur peau », et tout à fait résignés à l’idée d’être regardés.

[…] Alors que le dramatique sur scène peut parfois requérir ou exiger mon attention au coup par coup, la magie de The show must go on, comme dans nombre de pièces de Bel, naît de ce que l’artiste me donne le temps et l’espace pour voir, pour m’ennuyer, pour y trouver un intérêt. L’uniformité de la ligne, la plasticité des acteurs qui se mettent au travail, la lenteur des changements dans la pièce et la simplicité des mouvements, tout cela dissimule (ou plutôt produit) une profusion de détails vivants, stupéfiants.

Tim Etchells 01.11.2002