RB JEROME BEL
spectacles > the show must go on > presse > 11.2000 - tanzdrama

Nous vivons des temps meilleurs. Le caractère évident de la séparation scène/salle dans la réception du spectacle vivant s’estompe. Le public prend conscience que quelque chose s’est mis en branle. Ça s’installe dans les tranchées des rangées de fauteuils et ça attend l’assaut performatif. […]

The show must go on se manifeste, dans une structure d’une clarté cristalline, comme le reflet enjoué et complexe des phénomènes performatifs. Danse, musique et cinéma sont présentés dans leur ambivalence effective - la représentation des émotions, les légendes d’amour, de passion et de mort et de l’inévitable continuation. L’expression « The show must go on », qu’on la considère comme assurance sentimentale, comme constat ironique et résigné ou comme encouragement, est à entendre sur un terrain difficile, une formule que partagent le monde de la scène et le monde de tous les jours. Bel connaît assez bien les mécanismes de la pop, du spectacle et de leur « biz » pour en isoler les structures et les recomposer après une analyse tranchante comme une lame. Dans l’opulente cathédrale théâtrale de Hambourg, cette construction s’est révélée particulièrement efficace. La décoration émouvante du bâtiment et l’enveloppe enflée de sentimentalisme des superhits se sont amalgamées pour déstabiliser l’ambiance. Si la musique et le cinéma font bon commerce de nos sentiments, c’est surtout parce nous, consommateurs, concluons un contrat avec le divertissement : il est le fournisseur à qui nous nous livrons en échange. Dans The show must go on, le divertissement pose le pied sur la scène la plus sérieuse de l’esprit allemand et brasse l’air en agitant ce contrat avec force clins d’œil. Il y a belle lurette que nos âmes appartiennent au drug dealer du divertissement ou aux pontifes du spectacle élevé. Il est vrai que Bel ne tombe sur ce ressort moral que par le biais de son analyse structurelle. Mais du coup, d’une façon d’autant plus précise. Car seul celui qui est en mesure d’identifier l’assemblage d’une construction peut se positionner de façon autonome au sein de celle-ci. Et celui qui prend autant de plaisir à la présentation des éléments constructifs du divertissement industriel qu’aux sortilèges du divertissement lui-même a la conscience de notre prison toute bariolée.

Il va de soi que la danse, le théâtre et le marché de l’art dans son ensemble sont eux-mêmes des dépendances de cette prison, dans lesquelles on est particulièrement surveillé et puni, fêté et abandonné. À travers les métaphores du naufrage et de la mort, Bel emplit la scène de l’atmosphère de cette lutte de pouvoir dont nous, spectateurs, nous laissons si volontiers chatouiller. Quand le public de Hambourg se cramponnait dans le noir à sa propre rumeur, parce que seul le refrain de la chanson était donné à entendre, il était clair que tous sentaient particulièrement fort la présence de la matière noire du divertissement. Car aussitôt que disparaît la coulisse chatoyante, la peur du vide envahit les loges, les couloirs et la cour entourée de murs.

Helmut Ploebst 30.11.2000