RB JEROME BEL
spectacles > the show must go on > presse > 10.2000 - theater heute

[…] Une fois que le bon vieux théâtre du Schauspielhaus a montré très joliment et bien assez tout ce qu’il ne sait pas faire, c’est au tour de la représentation de Jérôme Bel de démarrer, à vingt-trois heures et pour une heure et demie, sous un titre dont on ne peut apprécier justement l’envergure qu’après les événements dont on vient de parler «The show must go on ! ».

Maintenant, on recommence tout encore une fois de zéro, retour aux fondements : la troupe (presque) au complet sur scène, qu’ils sachent danser ou non. Et la scène, comme il se doit avant que quelqu’un n’allume la lumière, est plongée dans l’obscurité. « Tonight » jaillit des haut-parleurs, un air plein de promesses, et on reste dans le noir. Premiers murmures dans le public déjà passablement agité. Ensuite « Let the sun shine in » sur le lecteur CD et, contrairement, à ce qui est annoncé, toujours l’obscurité. Puis la lumière s’allume effectivement, mais tous se tiennent immobiles dans la chorus line, comme coulés dans le bronze, sans bouger le petit doigt. Un spectateur ne se tient plus, grimpe sur scène et se met à danser. Rarement blâmé aussi activement. Ensuite, avec une précision de métronome, chacun se met à danser le disco à sa façon, avant de s’immobiliser à nouveau comme un automate. Qui a les nerfs les plus solides ? Agitation dans la salle. Avant même que quoi que ce soit de notable ait eu lieu, scène et salle se font face, les nerfs passablement à vif. Le théâtre, c’est aussi facile que ça, quand on sait y faire.

Et c’est un jeu du lièvre et du hérisson qui débute alors, avec des attentes déçues et des surprises plus subtiles. Ceux d’en bas (c’est-à-dire les acteurs, dans la configuration spatiale du Schauspielhaus) sont, désolé de le dire, à chaque fois les plus malins. Toujours en avance d’un tic décisif, en s’appuyant sur les tubes les plus connus de l’histoire de la pop-music. Tout le monde connaît la chanson, personne ne sait ce qui va arriver. Sur « Come together », les acteurs se tiennent toujours immobiles, comme enracinés, sur « Private dancer », l’homme qui manipule les CDs se précipite tout seul sous le cône de lumière. Une fois que les membres de la troupe, pas vraiment en forme, se sont employés à trémousser des hanches sur la « Macarena » jusqu’à n’en plus pouvoir, ils se tombent l’un l’autre dans les bras sur « Into my arms », avant de presque s’anéantir réciproquement, pour disparaître aussitôt dans un naufrage pathétique. Ensuite, quand tous ont sombré joyeusement, « Yellow Submarine », et une lumière jaune scintille depuis les dessous de scène. On peut donc aussi comprendre les choses comme ça. Sur quoi, « La vie en rose », la scène plongée dans le noir, mais la salle et le public éclairés par une lumière rose kitsch. Et tous de se regarder, le visage peint en rose. Pareille fidélité scrupuleuse au texte, même un Peter Stein n’aurait pas su faire mieux.

Ce faisant, la troupe se présente de façon parfaitement non spectaculaire — mieux et de manière plus reconnaissable que dans n’importe quel rôle plus ou moins réussi : ceux qui agitent leurs membres de façon conventionnelle, les enthousiastes, les pathétiques, les routiniers du rythme, ceux qui se balancent avec embarras. Tantôt en chœur, tantôt chacun pour soi. Personne ne peut éviter de tendre sa carte de visite effroyablement honnête. Sur « Sound of silence », c’est enfin le repos complet, la musique s’arrête et dans le silence général, personne ne se tient plus. Le public se laisse aller à des interventions censément intelligentes et qui deviennent de plus en plus stupides. On hurle « Arrêtez », « Dehors » ou, obéissant au gendarme intérieur, « Stromberg sur la scène ». L’âme du peuple bout. Heureux d’avoir fait votre connaissance. Tous ceux qui, en haut comme en bas, ont regardé tranquillement en étant toujours les plus futés, critiques inclus, s’en retournent chez eux après une heure et demie excitante, tout petits et modestes. Ou grands et ergoteurs. Mais qui voudrait donc être un grand ergoteur?

 

theater heute 30.10.2000