RB JEROME BEL
spectacles > pichet klunchun and myself > presse > 11.2007 - village voice

En 1983, RoseLee Goldberg mettait à jour son livre incontournable datant de 1979 : “Performance: Live Art, 1909 to the Present”, et changeait son titre en : “Performance Art: From Futurism to the Present”. En 2005, réalisant probablement la difficulté de garder le contact avec les formes émergentes, elle décida de créer un festival biennal à New York. A l’occasion de Performa 07, les théâtres dans toute la ville hébergent des intersections et des interactions entre les arts visuels, le théâtre, le cinéma, et la danse.

(…) C’est une forme de collaboration différente qu’on observe au Dance Theater Workshop (DTW) avec la pièce de Jérôme Bel “Pichet Klunchun and Myself”, non pas entre des formes d’art différentes, mais entre des styles de danse qui viennent de traditions et de modes de vie différents. Assis l’un en face de l’autre sur des chaises la plupart du temps, le chorégraphe post-moderne Jérôme Bel et Pichet Klunchun, un maître du Khon (la danse classique de Thaïlande), essaient de comprendre leurs arts respectifs à travers des questions, des démonstrations, et des leçons. Les deux hommes sont d’une magnifique simplicité, et les remarques qui révèlent leurs différences culturelles sont à la fois émouvantes et extrêmement drôles. Ils doivent avoir joué cette pièce de nombreuses fois, mais leurs pauses pour réfléchir donnent une impression de parfaite spontanéité (ils jouent la surpise de façon charmante).

D’un premier abord, le gouffre entre eux deux semble infranchissable. Jérôme Bel a rejeté la danse en tant que démonstration d’une virtuosité dont les éléments sont prévisibles (on va voir “Le Lac des Cygnes” et on y verra un lac et des cygnes), alors que Pichet Klunchun suit des règles qui gouvernent une forme artstique exacte depuis des siècles, même si le gouvernement thaïlandais actuel ne subventionne la danse que dans la mesure où elle est une attraction touristique. Pourtant les deux artistes, dans un certain sens, sont des rebelles dans leur pays.

Quand Pichet Klunchun montre les quatre rôles possibles dans le drame dansé du Khon (homme, femme, démon, et singe), Jérôme Bel a du mal a discerner les différences. Oui, il voit bien que les femmes gardent les jambes plus serrées que les hommes. Mais les démons ? Et les singes ? Il est très surpris de ce que de tous petits degrés dans l’échelle d’un mouvement de la main fasse toute la différence. Quand Jérôme Bel montre l’une de ses scènes préférées, rester immobile et regarder autour de soi le public et le plateau, Pichet Klunchun est surpris et déçu. Les explications commencent alors à faciliter la compréhension. Les mains ployées vers l’arrière de Pichet Klunchun, que Jérôme Bel admire dans un premier temps comme une démonstration de flexibilité, redirige en fait l’énergie vers le centre du corps de la même manière que le toi incurvé d’un temple bouddhiste renferme et protège son centre spirituel. Jérôme Bel est incapable de voir de la violence dans les gestes d’attaque élégamment contrôlés de Pichet Klunchun, mais quand Pichet Klunchun explique la signification très insultante de faire une pichenette du petit doigt avec le pouce, il comprend (et il est prévenu qu’il vaut mieux de pas s’y essayer dans les rues de Bangkok). Pourtant, devançant toute explication, il est touché par l’interprétation hypnotique de Pichet Klunchun d’une femme cachant, et ce faisant révélant subtilement, sa douleur suite à la mort de son mari. Et quand Jérôme Bel prend le temps de la chanson "Killing Me Softly" pour se baisser lentement jusqu’au sol, arrêter de chanter en play-back Roberta Flack, et s’étendre là jusqu’à la fin de la chanson, Pichet Klunchun se souvient de la mort de sa mère et est ému.

Pendant près de 90 minutes, ces deux hommes se parlent et nous parlent des différentes perceptions culturelles du temps, des manières dont les histoires peuvent être racontés en danse, des objectifs que se fixent les artistes, des bureaucraties hostiles, des réactions des publics qu’ils rencontrent, et des barrières de leurs sociétés respectives.

Deborah Jowitt 13.11.2007