RB JEROME BEL
spectacles > shirtologie > presse > 05.2016 - la danse.com
Seul, sous une douche de lumière, le front baissé, Frédéric Seguette égraine les tee-shirts comme le temps les années. Des numéros se succèdent ainsi sur son torse comme le décompte qui annonce le début d’un film. Mais aussi comme un infernal compte à rebours. Et la juxtaposition des maillots évoque alors ces fameuses images qui défilent subitement au moment de mourir. Cette terrible décomposition révèle les innombrables strates qui constituent la sédimentation complexe de l’individu. Le danseur retire ses peaux comme en période de mue. Ou comme quelqu’un qui cherche désespérément la sienne, aucune ne semblant lui convenir. D’où le décalage entre son mutisme de clown triste et les vives couleurs de ses tricots aux imprimés criards. (…)

Le spectateur est invité à méditer devant le moindre détail pour reconstituer les liaisons entre les séquences. Chaque tableau est un véritable rébus, où d’audacieuses associations d’idées s’emboîtent de manière insolite, tout en respectant une rigoureuse mécanique de mots d’esprit, transposés pour l’occasion en de savants « mots de corps ». Gigantesque mot croisé mouvant dont les tortueux enchaînements font apparaître de nouveaux vocables. On se sent intelligent (au sens étymologique du terme, à savoir : « en accord avec ») lorsqu’on a décodé une énigme. L’effet est d’autant plus jouissif quand on a conscience que son voisin n’a absolument pas capté le subtil glissement qui vient de s’opérer sous ses yeux interloqués ! Ce qui est génial chez Jérôme Bel, c’est que le public est ainsi un élément essentiel du spectacle. En effet, il est directement interpellé dans sa fonction même, provoqué dans sa position confortable et passive. Bouleversé dans son voyeurisme silencieux, permis et toléré.