[…] Avec Nom donné par l’auteur, Jérôme Bel a présenté une pièce totalement silencieuse et cependant caractérisée par une étrange plénitude. Quatre lettres blanches de grande taille offrent un cadre à la scène : N, S, E, O., déterminent les quatre points cardinaux à l’intérieur desquels Bel et Seguette agissent. Sur un tapis se trouvent divers objets multicolores (un sèche-cheveux, une lampe de poche, un ballon, un billet, des patins…). Les deux interprètes sont assis de part et d’autre du tapis. Bel sur un aspirateur, Seguette sur un tabouret, immobiles et impassiblement repliés sur eux-mêmes, ne cessant de prendre chacun un objet et de les mettre en relation les uns avec les autres : le sel s’écoule sur le tapis parce que le billet qu’on lui tend est trop éloigné, l’aspirateur avale la lumière de la lampe de poche, et ainsi de suite.

Ce faisant, Bel et son camarade mettent leur corps à égalité avec les objets et ne cherchent pas en eux une source d’expression. Par leur processus de déplacement, sans doute parfois un peu longs, mais qui ne cessent de se densifier de façon captivante jusqu’à la fin, ils parcourent l’espace en tissant un réseau de coordonnées. Rassemblant des objets auxquels ils ajoutent parfois leur propre corps, ils inventent des sculptures qui se transforment en permanence. Sans entrer manifestement sur le terrain du grotesque, ils arrachent aux objets une intelligence de l’instant, créant ainsi un théâtre du mouvement qui ne s’égare pas dans les décors des traditionnelles fleurs de la rhétorique de la danse, mais conquiert l’espace de façon tout à fait silencieuse.

Mario Jandrokovic 22.07.1996